Histoire de Saint-Jacques (Lanaudière) François Lanoue, Prêtre

Histoire de Saint-Jacques (Lanaudière) François Lanoue, Prêtre

Épris de sa région, l’abbé Lanoue s’est particulièrement intéressé à l’histoire de Saint-Jacques, son village natal. En 1949, il publiera même un livre traitant du sujet, Une nouvelle Acadie: Saint-Jacques de l’Achigan 1772-1947. Auparavant, dans le Guide de Joliette de novembre 1944, on avait pu consulter ce texte résumant les évènements qui ont mené à l’établissement de familles acadiennes dans la région de Lanaudière.

De l’Acadie à chez nous

Chez les Canadiens Français, presque toutes les familles souches peuvent se glorifier de leurs ancêtres. Qu’ils aient été nobles, riches, pauvres, défricheurs, colons, agriculteurs, marchands ou coureurs de bois, tous furent des héros et plusieurs des saints, des saints authentiques dont les vies seraient bien acclimatées dans un Martyrologe.

Parmi ces héros et ces saints, une auréole bien brillante est réservée aux pauvres Acadiens odieusement volés et brutalement déportés en 1755.

Ces déportés sont devenus les ancêtres de toutes les vieilles familles qui habitent aujourd’hui les paroisses de l’Assomption, de St-Jacques, de l’Épiphanie, de St-Alexis, de Ste-Julienne, de Rawdon, de St-Liguori, de Ste-Marie, de Crabtree, de Chertsey, de St-Calixte, de St-Côme.

Mais avant d’arriver chez nous, quelles épreuves n’eurent-ils pas à endurer! Dans une série d’articles, nous retracerons le douloureux pèlerinage que parcoururent ces héros de la souffrance et de la résignation.

Ces Acadiens vivaient paisiblement en Acadie, aujourd’hui Nouvelle-Écosse. Depuis plus de 100 ans, ils étaient bien installés sur des terres très fertiles dans une prospérité qui excitait fort la jalousie des Anglais.

D’après les recensements faits en 1714, nous pouvons approximativement indiquer les endroits de provenance des premiers colons de notre région. De Grand-Prée, nous retrouvons beaucoup de Dugas, de Granger, de Leblanc, de Mélançon, de Thériault, de Vincent, de Landry, de Blanchard. À la Rivière des Habitants, ce sont des Dupuis, les Leblanc et des Landry. Au Bassin des Mines, des Hébert et des Thibodeau. A Beaubassin, des Cormier, des Poirier, des Bourgeois, des Richard, des Hébert, des Gaudet. À la rivière Gaspareau, des Gaudreau. À Pigiguit, des Martin, des Breau, des Forest. À Port-Royal, presque tous les habitants sont des Richard, des Dugas, des Martin, des Bourque, des Lanoue, des Lord, des Mélançon, des Gaudet, des Forest, des Landry, des Thériault, des Thibodeau, voisins des Lanoue.

C’étaient des gens heureux qui avalent leur part de misères et de défauts comme les autres hommes. Ils étaient bien marqués de cet esprit français, surtout normand, qui est toujours gai, vif, prompt aux réparties, mais aussi un peu jaloux du succès de son voisin. Modérés dans leurs goûts, simples dans leurs habitudes ils avaient peu de besoins et étaient contents de leur sort. «L’incomparable fertilité de leurs terres, moins difficiles à ouvrir et à cultiver que celles du Canada leur donnait en peu d’années assez d’aisance pour établir leurs enfants autour d’eux et pour jouir d’une vieillesse heureuse.» Quant à leur moralité, jamais on ne l’a attaquée, elle était à toute épreuve.

Jusqu’en 1749, ils étaient bien traités par les Anglais qui «éprouvaient pour eux plus d’éloignement que de sympathie. Abandonnés à eux-mêmes plutôt que gouvernés, les Acadiens vivaient sous la direction paternelle de leurs missionnaires, à qui ils s’en rapportaient la plupart du temps pour régler leurs différends. Lorsqu’ils avaient recours aux juges étrangers, c’était la loi française, la seule qu’ils connaissaient que ces juges tâchaient de leur expliquer tant bien que mal.»

Après 1750, la situation changea, parce que la physionomie de la Nouvelle-Écosse prenait un autre aspect: les villes se fortifiaient et les soldats anglais étaient plus nombreux dans les garnisons. Les chaînes des Acadiens se resserraient de jour en jour. Les gouverneurs commençaient à exiger le serment sans réserve, qui obligeait à prendre les armes contre leurs propres compatriotes qui ne le prêtaient pas.

La situation devenait de plus en plus tendue, pour aboutir au jour fatal qui a «dépassé les limites de l’odieux» du 5 septembre 1755, à 3 heures de l’après-midi. Ce jour-là, ordre avait été donné de réunir dans les églises, vieillards, jeunes gens et garçons de plus de 10 ans, pour leur communiquer ce qu’ils ont «reçu ordre leur communiquer, déclarant qu’aucune excuse ne sera admise sous aucun prétexte que ce soit, sous peine de confiscation de leurs biens meubles et immeubles.»

Nous ne décrirons que ce qui s’est passé à la Grand-Prée, puisque ce fut là que la barbarie s’est exercée avec le plus d’acuité.

«À trois heures précises, 418 Acadiens de tout âge étaient réunis dans l’église. Quand les derniers furent entrés, et les portes fermées et gardées, le commandant Winslow, accompagné de quelques officiers vint se placer debout dans le choeur devant une table, sur laquelle il posa ses instructions et l’adresse qu’il avait à lire, et que traduisait un interprète:

«Messieurs, j’ai reçu de Son Excellence le gouverneur Lawrence les instructions du roi, que j’ai entre les mains. C’est par ses ordres que vous êtes assemblés pour attendre la résolution finale de Sa Majesté concernant les habitants français de sienne province de la Nouvelle-Écosse, où depuis près d’un demi-siècle vous avez été traités avec plus d’indulgence qu’aucun autre de ses sujets dans aucune partie de ses États. Vous savez mieux que tout autre quel usage vous en avez fait.

Ainsi, sans autre hésitation, je vais vous faire connaître les instructions et les ordres de Sa Majesté, qui sont que vos terres et vos maisons et votre bétail et vos troupeaux de toutes sortes sont confisqués par la Couronne, avec tous vos autres effets, excepté votre argent et vos objets de ménage, et que vous-mêmes vous devez être transportés hors de cette province… Chaque famille sera réunie dans le même navire… J’espère que dans quelque partie du monde où le sort va vous jeter, vous serez des sujets fidèles, et un peuple paisible et heureux.»

Winslow termina son discours en les déclarant tous prisonniers du roi. L’effet produit par un tel décret s’imagine facilement. Les braves acadiens ne pouvaient croire à pareille perfidie de la part de l’Angleterre. De fait, l’initiative partait de Lawrence, gouverneur de la Nouvelle-Écosse.

Durant les jours qui suivirent, tous restèrent prisonniers dans l’église. Quotidiennement, 20 des prisonniers pouvaient sortir, et chaque famille devait apporter des vivres pour ceux des siens qui étaient détenus.

Il est extrêmement intéressant de noter que l’interprète du groupe acadien de Grand Prée auprès des généraux anglais, était un nommé François Landry, né en 1692, fils d’Antoine Landry, qui, déporté à la baie du Massachusetts, s’en vint à St-Jacques à l’automne de 1766, où il mourut en 1767, et fut ensuite enterré à l’Assomption.

Le 10 septembre, l’on procéda à l’embarquement de 259 jeunes gens. Jusqu’à ce moment, tous ces malheureux s’étaient soumis sans résistance; mais, quand on voulut leur ordonner de marcher vers le rivage pour y être embarqués, ils se récrièrent et refusèrent d’obéir. On eut beau les commander et les menacer, tous s’obstinèrent dans leur révolte avec des cris et une agitation extrême. Ce fut là le commencement de cette dislocation des familles, qui n’a pas d’excuse, et qui a marqué d’une tache ineffaçable le nom de ses auteurs. Une bonne partie de ces jeunes gens étaient des enfants de 10 à 12 ans …

 

Déportation de 1755. 55 ko
Déportation de 1755
À la fin, les jeunes gens se résignèrent à suivre, mais non sans résistance, et avec des lamentations qui firent mal à Winslow lui-même… Une foule de femmes et d’enfants, parmi lesquels se trouvaient les mères, les soeurs, les fiancées de ces infortunés, augmentaient la confusion de cette scène déchirante par leurs gémissements et leurs supplications. De l’église au lieu de l’embarquement, la distance n’est pas moins d’un mille et demi. Elles s’attachèrent à leurs pas pendant tout ce trajet, priant, pleurant, et saisissant leurs vêtements pour les embrasser une dernière fois. Des pères s’informaient auprès de leurs femmes restées sur le rivage où étaient leurs fils, et ils suppliaient les officiers de les réunir. Pour toute réponse, les soldats pointaient leurs baïonnettes et les poussaient dans les chaloupes.

By René Arbour

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