Les derniers jours de René Graciet « Mort pour la France »

Les derniers jours de René Graciet « Mort pour la France »

Les prêtres infirmiers au chevet des blessés

jeudi 15 mars 2012, par Jacques Dupéé, Michel ÙGuironnet

Mon grand-oncle Jean René Graciet, blessé à la tête par un éclat d’obus le 4 juillet 1915 dans les tranchées de Souchez (Pas-de-Calais), a été transporté à l’ambulance d’Estrée-Cauchy le 5 juillet au matin. Il y décédera le 6 juillet 1915. Il venait d’avoir 21 ans le 14 janvier.

Il a laissé une soixantaine de lettres.

Un extrait de sa dernière lettre :

Frévillers, jeudi 1er juillet 1915

J’ai reçu la lettre de maman ce matin avec bien plaisir ainsi que le paquet contenant la chemise, la serviette et les chaussures. Bien qu’elle soit trop belle pour ici, ma chemise m’a fait revivre tous les bons moments passés : les fêtes de famille comme les fêtes de villages.

À peine fais-je une demande qu’elle est aussitôt satisfaite par Maman. Vraiment je suis comblé ! Le temps est pluvieux ici ; j’espère que chez vous cela ne vous gêne pas trop pour les travaux (les parents sont cultivateurs). Ici tout est redevenu calme, on n’entend plus le canon. Peut-être que les Français portent des coups sur une autre partie du front.

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Au milieu, debout René Graciet et à sa droite Julien Goutenègre (les deux grands de l’équipe) Il y a également son cousin André Graciet que je ne sais pas identifier.

Un extrait de la lettre de son camarade Julien Goutenègre [1] à la famille Graciet :

Mardi 6 juillet 1915,

Chère famille Graciet,

Tout d’abord, ne vous inquiétez pas si je vous écris ces quelques lignes. Je vais vous dire simplement de quoi il s’agit : René m’a chargé de vous apprendre qu’il a été légèrement blessé à la tête dimanche soir, ainsi d’ailleurs qu’André (son cousin semble-t-il), à Souchez.

Mes deux camarades ont été touchés, heureusement sans importance, par le même obus. Par chance, moi je n’étais pas bien loin et je me suis précipité près d’eux.

André a une petite blessure sur le côté et René a été touché à la tête, mais c’est sans gravité. D’ailleurs c’est moi, avec le sergent, qui leur ai fait le premier pansement.

Ne soyez pas étonnés si René ne vous écrit pas pendant quelque temps, juste le temps de chercher une place dans un hôpital…. J’espère bien que l’on pourra bientôt se retrouver, tous ensemble, à Saint-Martin (Saint-Martin-de-Seignanx dans les Landes) et venir vous visiter.

La lettre de Y. Crems, prêtre infirmier, à la famille Graciet :

Ambulance 1/70, Secteur postal 96

Le 9 juillet 1915

Monsieur et Madame Graciet

C’est une pénible nouvelle que votre cher fils, du 159e d’infanterie, m’a chargé de vous annoncer. Il a été blessé à la tête le 5 de ce mois et est arrivé dans notre ambulance dès le lendemain matin mais hélas, dans un état désespéré. La blessure dans la région cervicale, a produit chez lui une insensibilité générale, en sorte qu’il n’a point souffert, il a cependant conservé toute sa lucidité et jusqu’à la dernière minute.
Dès son arrivée, il appela près de lui un prêtre infirmier et lui demanda d’entendre sa confession. Une demi-heure après, ce prêtre infirmier étant sorti prendre sa soupe, votre cher blessé m’appela à mon tour. Il me dit qu’il s’était confessé, mais qu’il craignait de mourir avant le lendemain matin et ne pouvoir recevoir la Sainte Communion.
Je l’engageai alors à faire au moins la communion spirituelle, ce qu’il fit de tout cœur.

Il me pria de vouloir enlever les médailles qu’il portait, ou plutôt qu’il croyait porter à sa flanelle, mais il n’avait plus sa flanelle et je n’ai pu retrouver les médailles. Il me demanda de lui en attacher une, car « je ne voudrais pas mourir, dit-il, sans avoir un signe sacré sur ma poitrine » Ce que je fis de suite

Après m’avoir remercié, il me pria de vouloir bien prendre votre adresse afin de vous annoncer sa mort : « Vous leur direz, dit-il, comment je suis mort et où je serais enterré, ce sera leur plus grande consolation ».
Le lendemain matin, avant ma messe, je vins le voir et lui annoncer que j’allais, après ma messe, lui apporter la Sainte Communion ; il en parut tout heureux.
Et quand ¾ (d’heure) après, je lui eus administré le Saint Viatique, il dit ces simples paroles : « quelle grâce ! ».

Dans la journée, je lui en parlai encore à divers moments. Vers 6 heures du soir, il m’appela près de lui et me dit qu’il allait plus mal. Il me pria de lui frictionner la poitrine pour l’aider à respirer. Quand je l’eus frictionné pendant quelques secondes, il me dit : « C’est assez, je vais mourir » Je lui rappelai alors la Sainte Communion qu’il venait de faire le matin, le sacrement de l’Extrême Onction qu’il avait déjà reçu au poste de secours des mains même de Monsieur l’Aumônier militaire.

Je lui demandai ensuite de prononcer les saints noms de Jésus et de Marie ; il fit un signe affirmatif et expira doucement. [2] Il a été enterré dans le petit cimetière ouvert près de notre ambulance. Son corps repose dans un cercueil et une croix portant son nom indique où il a été inhumé.

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La tombe provisoire de René, avant qu’il soit transféré à Saint-Martin-de-Seignanx le 16 février 1922, photographiée par son cousin André Graciet juste après la guerre, vers 1922.

C’est la mort la plus édifiante à laquelle j’ai assisté durant mes huit années de sacerdoce.

J’ai la plus grande confiance que de si grands sacrifices et si chrétiennement supportés obtiendront de Dieu le salut de notre chère Patrie.
J’ai dû profiter de la nuit pour vous écrire ces quelques lignes, car dans la journée nous n’avons pas une minute. Je termine en vous priant d’agréer, Monsieur et Madame Graciet, l’expression de mes plus sincères condoléances.

Y. Crems, prêtre infirmier »

Lettre de Marie Graciet (la mère de René) à l’infirmier :

(sans date)

Monsieur l’abbé,

Nous avons reçu votre lettre nous annonçant la mort de notre fils. Nous avons été bien douloureusement surpris, car prévenus par un camarade qu’il avait reçu une blessure sans gravité, nous étions loin d’attendre la nouvelle fatale.

Nous vous remercions du fond du cœur de nous avoir si bien retracé ses derniers moments et d’avoir contribué de votre mieux pour l’aider à bien mourir. Rien ne pourra désormais, dans notre foyer, combler le vide fait par la disparition de l’enfant bien-aimé.

Mais votre lettre portera un adoucissement à notre douleur en nous fournissant la preuve qu’il est mort en bon chrétien. Puissions-nous, après avoir gravi les douloureuses étapes du calvaire de la vie, aller le retrouver dans un monde meilleur.

Encore une fois, merci Monsieur l’Abbé.
Recevez l’expression de toute la reconnaissance des parents désolés.

En guise de « récompense », René Graciet a reçu à titre posthume la Médaille militaire et la Croix de Guerre le 1er mai 1920.

Quelques remarques :

- Est-il possible d’identifier André Graciet (né le 23/11/1895 à Saint-Martin-de-Seignanx [40] et décédé le 29/09/1992 à Rueil-Malmaison [92]) ?

- Il semble que les soldats manquaient de quoi se vêtir et se chausser.

- Ils savaient tous bien écrire français,sans faute d’orthographe et avec une bonne calligraphie.

- Ils étaient patriotes et croyants (en tout cas ceux-là).

L’Ambulance 1/70 aux Quatre-Vents

Cette ambulance, rattachée à la 70e division d’Infanterie, est située au hameau des Quatre-Vents à Estrée Cauchy.

Extrait du JMO du Service de Santé de la 70e DI à la date du 16 juin 1915. « Les blessé sont mis de suite dans les automobiles sanitaires qui les dirigent sur les ambulances de la 70e division…Quatre Vents, pour les grands blessés ; ambulance chirurgicale en raison de la présence de l’ambulance chirurgicale annexe de l’ambulance 1/70 des 4 vents Estrée Cauchy doit (aussi) recevoir les petits blessés ».

Dénichée dans le JMO du 33e Corps d’Armée, une carte dont j’ai agrandi une partie : c’est la position de l’Ambulance 1/70 aux Quatre-Vents début juin 1915.C’est là qu’est décédé René Graciet un mois plus tard !

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JMO 26 N 215/20 (du 12 octobre 1914 au 31 décembre 1916)
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Légende de la carte
« Le bois de Noulette, le plateau de Lorette, le ravin de Souchez, les plaines boueuses de Neuville Saint Vaast furent des charniers humains où presque tous les corps vinrent à leur tour apporter leur tribut de chair humaine ».Louis Barthas a décrit dans les pages de ses « Carnets de Guerre » la tragique épopée des ses frères soldats sur le front de l’Artois durant l’année 1915 : témoignage authentique et irremplaçable !

Notes

[1] Julien Goutenègre est mort à Damloup, à l’est de Verdun le 19 mars 1916 (éclat d’obus).

[2] Au niveau de la chronologie des derniers jours de René Graciet ; René écrit le jeudi 1er juillet 1915 à ses parents (j’ai vérifié sur un calendrier perpétuel, c’est bien un jeudi).

Julien Goutenègre écrit aux parents de René le mardi 6 juillet (c’est bien un mardi) et leur dit que René a été blessé à la tête dimanche soir, donc le 4 juillet 1915.

Le prêtre infirmier Y Crems écrit le 9 juillet aux parents de René et leur dit que René a été blessé le 5 de ce mois, arrivé à l’Ambulance le lendemain (donc le 6 juillet) et mort le lendemain de son arrivée (donc le 7 juillet) Sur la plaque provisoire de sa tombe, il est bien écrit le 6 juillet, de même que sur sa fiche sur Mémoire des Hommes.
Le prêtre infirmier doit se tromper : René est blessé le 4, arrivé à l’ambulance le 5, mort le 6 juillet.Erreur du prêtre due sans doute à la fatigue

By René Arbour

Management certificate of Credit Card (New York - 1983-84) Bac Administration , Security for the people (Minesota 1984)