Ballades à vélo avec Pépé

Ballades à vélo avec Pépé

vendredi 1er novembre 2002, par Josiane Laurençon-Kuprys

Une étrange atmosphère commençait à régner à la maison, lorsque, après le petit déjeuner, Pépé déployait ses grandes cartes Michelin sur la table de la cuisine, près de la fenêtre.

Ses lunettes posées sur son nez, armé de sa loupe rectangulaire, il était là penché sur ses cartes, scrutant avec soin les routes droites ou sinueuses.

Avec un air d’écolier attentif et sérieux, il marquait sur un cahier des noms de villes ou de villages, et repartant sur sa carte avec son doigt il traçait de jolis ronds autour des endroits à voir. Bref ! Un minutieux itinéraire, assorti d’escales, choisies tout aussi minutieusement, se préparait là, sous mes yeux étonnés.

Mais je savais, par cette étude approfondie et cette fiévreuse effervescence, que Grand-père projetait un fabuleux voyage.

Pépé partait une fois par an, faire son tour de vélo. C’était les seules vacances qu’il s’accordait, et la plupart du temps il les passait avec son copain « Monsieur Giraud », grand homme mince, à qui ses larges moustaches en guidon de bicyclettes, donnaient un air jovial et sympathique.

Je ne saurais dire comment ces deux compères s’étaient connus, mais ils s’entendaient comme deux larrons en foire, malgré leurs divergences d’opinion.

Monsieur Giraud était retraité de la S.N.C.F. et veuf comme Pépé. Il habitait Saint-Paulet-de-Caisson, près de Pont-Saint-Esprit, dans le Gard. Il avait donc un accent du midi prononcé, qui me chatouillait les oreilles.

A l’inverse de Pépé il avait pu aller à l’école. Et sa grande connaissance en botanique, qu’il dispensait à grands coups de mots énigmatiques ou savants, que je m’empressais d’oublier (il savait le nom latin de chaque fleur, fruit ou plante), m’épatait toujours.

C’est donc avec un véritable phénomène que Pépé partait en escapades.

Ils faisaient tous les deux partie du Touring-Club de France.

Amoureux de la nature, écologistes avant l’heure, ces deux sages sans grands moyens financiers, avaient trouvé, par leurs randonnées à vélo, le joyeux moyen de combiner amitié et découverte de la France.

Tous ces préparatifs duraient plusieurs jours et je regardais avec envie s’amonceler, bien alignées à la cave sur les rayons de bois, différentes boîtes de lait en poudre, de Nescafé, de sucre et autres denrées diverses…

Et le jour du départ, Pépé arborait fièrement son costume de circonstance : pantalon sombre de golf, resserré au-dessous des genoux, chemise à grands carreaux, blouson clair et son inséparable « béret basque ».

Les deux sacoches regorgeaient de victuailles, réchaud, cartes routières et autres lampe de poche.

J’avais le cœur gros de voir partir mon héros. Et pourtant, regarder le bonheur de cet homme, m’émoustillait. Malgré ses cheveux blancs, couronnant son visage buriné et rieur, il paraissait encore très jeune d’allure, et c’est avec la bouche fendue d’un large sourire, qu’il partait rejoindre Monsieur Giraud pour vivre une belle aventure.

Dis Pépé, tu m’emmèneras un jour avec toi ?
C’est promis mon Pinpin, dès que tu seras plus grande !

Et sur cette belle promesse, mon grand-père enfourchait son vélo et s’éloignait de nous, non sans avoir envoyé une brassée de baisers, dans un large geste.

J’entreprenais de le suivre en courant jusqu’à l’épuisement, et au-delà des « avoraux » je le voyais disparaître sur la route.

La promesse vit une belle occasion de se réaliser, lors du Noël de mes huit ans, lorsque mon père me fit un cadeau depuis longtemps attendu : une merveilleuse bicyclette flambant neuf, d’un joli vert brillant.

Comme j’étais fière ! Fini le vieux clou de Maman ou ceux de Guyte et Suzon. Cette fois c’était bien vrai, j’avais un vélo rien qu’à moi.

Après plusieurs essais, jusqu’à Bourg-Saint-André et Challes-d’Hautecourt, autre bourgade dans l’Ain où la nièce de Grand-père vivait avec toute sa tripotée d’enfants, et le fameux Tonton qui avait perdu sa jambe à la guerre, Grand-père décida que j’étais fin prête pour un grand voyage.

Avec quelle joie, quelle impatience et quelle fébrilité avons-nous préparé ce voyage !

D’abord, Grand-père me montrait sur la carte les routes droites ou sinueuses par lesquelles nous passerions. A chaque étape il y aurait quelque chose à voir. Maman se faisait un peu de souci au sujet de ma capacité à suivre, mais elle nous prépara de bonne grâce quelques linges de rechange et quelques provisions.

Enfin, le matin du départ arriva.

J’étais en polo et short rouge, Grand-père en chemise ouverte, le béret basque sur la tête. Embrassades, recommandations de Maman, baisers au petit frère et nous voilà seuls sur la route face à notre destin, fonçant en pédalant vers la grande aventure : destination Chambéry, vers les cousins Codet.

1re escale : « Serrière-de-Briort ». Nous y avons passé la nuit, chez des cousins du côté de Grand-mère je crois. Après une bonne omelette, du saucisson, une salade verte et une bonne nuit, réparatrice des fatigues endurées, nous sommes repartis à la fraîcheur du matin, frais comme des gardons.

Grand-père m’y fit un discours du haut de la chair en pierre, qui me fis rire à en pleurer :

Mes frères, mes très chers…

Les pommes et les noix ramassées le long des routes remplissaient nos sacoches toujours bourrées à craquer, et nos haltes fréquentes pour se restaurer au bord des ruisseaux ou à l’orée des bois d’acacia, nous donnaient l’occasion d’y puiser largement.

Quel professeur étais-tu Grand-père ? Comme c’était facile d’apprendre la vie avec toi ! Sachant répondre à mes curiosités, tu savais tout, sans jamais, ou presque, avoir usé tes fonds de culotte sur les bancs de l’école.

Nous mangions avec délice le lard cuit, le fromage et le bon pain et tout avait une autre saveur, sur la route : celle de la liberté et de l’amour de deux êtres.

L’arrivée à Chambéry fut triomphale. Après avoir vaincu le col de « la dent du chat » que je dois avouer avoir fini à pied sous un soleil torride, ce fut la descente. J’ai eu très mal aux mains à force de freiner, t’en rappelles tu Pépé ?…

Après un jour entier de repos, nous sommes repartis pour le point de départ. Deux jours pour aller, un jour de repos, deux jours pour revenir. Ce furent 5 jours entiers, pendant lesquels Grand-père me fabriqua à son insu, des souvenirs, des émotions ineffaçables pour le restant de mes jours.

Je me rappelle que le dernier jour fut pénible pour mes fesses qui n’avaient pas l’habitude d’une selle neuve et coriace. Je finis donc le voyage avec un pull sous le postérieur et les derniers kilomètres, « en danseuse ». Ce qui fit bien rire mon Pépé.

Que de choses à raconter à notre retour, à ma chère Maman qui n’en finissait pas de nous écouter et de s’exclamer.

Tant que la saison nous le permettait, nous montions chaque samedi soir à Curis où, Grand-père nous attendait, avec la fameuse fricassée de pommes de terre et l’immense saladier rempli de « reine des glaces » du jardin. Quel festin ! Pépé savait que j’adorais ce plat, et il se régalait à l’avance en pensant à ma mine réjouie. Nous mettions la table dehors lorsque le temps était beau. Nous n’étions pourtant pas riches, mais je n’aurais pour rien au monde voulu changer tout cela. Nous étions heureux et… quelle merveille, je le savais.

Il y avait aussi le bal « du sous des écoles ». C’était toujours Roger Eraud, ami de toujours de Pépé, qui s’en occupait. Grand-père me disait de me faire belle, et c’était avec grand honneur qu’il m’invitait pour ouvrir le bal, sur l’air du « beau Danube bleu ».

Et il y a eu également la kermesse où l’on m’avait sollicitée, pour faire un petit numéro que j ’avais interprété avec grand cœur. Maman chérie m’avait fait confectionner un beau costume espagnol : une robe blanche, ornée de gros pois rouges et de volants en tulle noir. J’ai dansé « España » avec les castagnettes s’il vous plaît !

Je me rappelle aussi, bien avant la naissance de mon frère, qu’il y avait des cavalcades, appelées aussi, Corso fleuri ou chars en fleurs. A l’une d’entre elle, ma cousine Suzon avait été élue reine d’un jour.

Je la vois sur son beau char avec la robe de mariée de Maman, des fleurs plein les bras me faisant des petits signes au passage. Mon grand-père m’avait campée sur le mur du jardin pour que je ne perde pas une miette du spectacle. Le voisin, Monsieur Mandon, déguisé en Nimbus et juché sur sa grosse moto, ainsi que tout le joyeux reste du cortège, défilaient dans tout le village au son de la fanfare, des piaillements, des cris et des bravos.

La cavalcade – Mr Maudon en Nimbus

Le soir, j’avais le droit de suivre la retraite aux flambeaux, avec Dédé mon copain. Nous avions de jolis lampions. Il me tenait par la main et nous marchions comme de ravissantes lucioles dans la nuit chaude. Ravie, je n’aurais jamais voulu que cela s’arrête, et Maman avait un mal fou à me coucher…

 

By René Arbour

Management certificate of Credit Card (New York - 1983-84) Bac Administration , Security for the people (Minesota 1984)