Le service militaire de nos ancêtres (1914-1918)

Le service militaire de nos ancêtres

jeudi 23 février 2012, par Gisèle Lameth

Le service militaire a disparu. Loin de moi toute nostalgie, étant résolument pour la paix. De nombreux objecteurs de conscience, dont les Témoins de Jéhovah, se retrouvèrent alors en prison. Mais ce service marqua des générations masculines.

Je souhaiterais donc vous le faire découvrir au travers du parcours de mon grand père maternel, Georges Dupuis, qui faisait partie de la classe de mobilisation 1907. Tous compléments sont les biens venus.

Depuis 1905, le service militaire obligatoire a été ramené à 2 ans. Georges travaille avec son père, artisan dans l’ancienne Seine, comme peintre en bâtiments.

Aux Archives de Paris, j’ai pu retrouver sa fiche sous le numéro matricule de recrutement n°1845. Il passe donc le conseil de révision. Il a le n°139 de tirage dans le canton d’Ivry.

Signalement : cheveux et sourcils bruns, yeux noirs, front large, nez et bouche moyens, menton rond, visage ovale, taille 1m70. Degré d’instruction générale : 3, ce qui veut dire qu’il possède une instruction primaire développée, sans pour autant avoir le brevet.

Le 07 octobre 1908, il est dirigé sur le 146e Régiment d’Infanterie, cantonné à Toul (54 Meurthe et Moselle), caserne Maréchal Ney. Après 5 à 7 heures de train, il arrive au corps, le même jour. Il fait partie de la 5e compagnie.

Il reçoit son uniforme et son paquetage. Il découvre une autre vie, faites de promiscuités inattendues. Plus tard, il aura des assiettes à dessert montrant les joies de l’armée, avec des situations humoristiques. Je me souviens surtout de celle montrant un soldat faisant sa toilette avec pour légende : « Je me lave la figure là où mon voisin a lavé ses pieds. » En effet, le matin, devant les tentes où ils dormaient sur un matelas posé sur un sommier à latte en bois, les soldats faisaient tous ensemble leur toilette dans des bassines en fer blanc posées à même le sol.

Le 26 octobre 1908, il écrit à ses parents : « L’on a fêté les bleus avant hier soir. On a mangé du bœuf sauce tomate (semelle de botte à la sauce soit disant tomate), une sardine, des petits pois un peu meilleur que d’habitude. On a chanté, la musique a joué et l’on a bu du vin chaud. L’on a payé la cruche aussi. Le lendemain le général de brigade est venu passé l’inspection des bleus. Il ne fait pas chaud matin et soir, dans le lavoir il y a de la glace tous les jours on nous a donné des gants. Je vous embrasse de tout cœur ».

Au début, il écrit beaucoup, il est bavard. Après, ce sera juste 2 ou 3 mots. Comme ses camarades, il attend « la quille », le moment où il sera libéré des obligations militaires. Comme les autres conscrits, il compte les jours, certainement sur une ardoise. « 30 jours déjà passés » (sur 700) écrit-il. On fête l’enterrement du « père 200 » (jours), la mort du père 300, occasion de réjouissances et de beuveries. Le 05 novembre 1908, il s’empresse de demander à ses parents un certificat d’hébergement pour pouvoir avoir une permission.

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Exécution du père 200 – La justice fait son œuvre – Cliché Carabin.
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La mort du Père 300 – Pratbernon, éditeur, Toul

« Enfin débarrassé après une longue maladie de 417 jours pour le plus grand bien de sa Famille. Les hommes de la classe 19… vous prient d’assister aux funérailles qui auront lieu aux Cantines du Régiment à ……… le ………191.. »

Le samedi 30 janvier 1909, il prend la garde pour la 1re fois. En février 1709, il écrit que dans le faubourg, il y a de la boue et du fumier jusqu’à la cheville. La hauteur du tas de fumier devant les maisons était un signe de prospérité.

12 mars 1909 : « Chers parents, ce patelin c’est un petit pays que nous avons traversé hier, admirez, pour aller au tir qui est à 9 kms de la caserne. Aujourd’hui nous sommes allés à Bois Lévèque, nous avons fait les bucherons, le réveil était à 5h30 au lieu de 6h30 (il sera à 6h à partir du 1er mars) départ 6h45 et cela se trouve à 14 kms. Nous avons mangé la soupe avant de partir et avons emporté un repas froid. Nous avons coupés des broussailles et revenus à 4h1/2. J’ai attrapé deux pinsons et en ai crevé un. Seulement ces pinsons là ne chantent pas. Je n’ai pas l’habitude de manier la serpe. Bonjour à tous, Bonne santé, Georges ». Il faut couper du bois pour se chauffer, nettoyer les écuries, les gradés circulant à cheval, nettoyer, balayer, laver, etc.

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Camp d’Auvours – cantine et corvées – N.D. phot.

27 avril 1909 : « Bonjour chers parents, Comment allez-vous ? Je n’ai pas encore reçu de vos nouvelles. Nous devions commencer aujourd’hui les marches d’épreuves, nous nous sommes levés à 1h20 et mis en route à 3h et il tombait si peu d’eau que nous avons fait 800m et nous sommes revenus. L’on s’est couché à 4h jusqu’à 7h ; mais l’on repart demain matin à 5h ; seulement au lieu de commencer par faire 40 kms nous en ferons 22 kms s’est peut être reculer pour mieux sauter. Vous m’écrirez… »

01 mai 1909 : « Chers parents, Je viens de finir les marches d’épreuves, elles n’ont pas été dures, car elles ont été raccourcies la 2e et 4e rapport au mauvais temps.
Le 3e jour, nous avons été saucés tout le long du chemin, j’en été quitte pour me rechanger, on avait allumé le feu, on s’est séché et tout a été dit, l’après midi nous n’avions que revue d’effets et d’armes, nous nous reposons. Nous avons fait en moyenne que 23 kms.
Je vous envoie que les vues que je trouve, car les pays sont si beaux qu’il n’y a pas de cartes les représentant.
…. n’a pas marché en cas d’évènements et il y a eu 25 hommes de la compagnie qui ont été de service à la gare en raison des grèves. Bien le bonjour, Bonne santé, Georges »

C’est peut-être de lui que vient le côté râleur, et cette façon ironique d’affirmer une chose alors qu’on pense le contraire (code déchiffré par la famille) 20 juin (?), un petit chef d’œuvre : son arrivée au Camp de Mailly (Mailly-le camp Aube) sur double carte, Georges fait des découvertes :

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Vue générale du camp de Mailly

« Me voilà arrivé au camp, j’ai déjà passé une nuit sous la tente, nous sommes mieux que dans les granges, mais un peu petit. S’il ne pleut ça ira, mais ça ne vaut pas la caserne il y a trop de corvée surtout moi qui n’était pas habitué à en faire. Il fait chaud dans la journée et les nuits sont fraîches, le froid vous réveille quand on s’est découvert.
Le camp est très bien agencé, le lavoir est beaucoup mieux qu’à la caserne. Les cabinets et miroirs aussi, on a qu’à appuyer sur un bouton, il y a une chute d’eau et électricité la nuit.
La sonnerie pour le réveil change, ils font comme les pompiers faisaient chez nous.

Nous devons aller tirer demain, je crois que nous ne perdrons pas de temps ; pour le manger c’est meilleur qu’à la caserne. Ce matin j’ai fait que laver : capote, veste pantalon, chemise, caleçon, chaussettes, mouchoirs etc. j’en ai jamais fait autant. Je suis avec mon cabot d’escouade. Quelle vie, vivement la caserne pour que je l’envoie aux bains, il est à moitié dingo. Bonne santé, Bonjour à tous, G. Dupuis »

Pour échapper aux corvées, il brigue de l’avancement et se présente à « l’examen des élèves officiers de réserve n’était pas si dur ». Le 10 août 1909, il est très déçu : il a été reçu 74e alors que seulement les 70 premiers sont au tableau d’avancement, au lieu des 100 prévus au départ, il regrette de ne pas avoir appris d’avantage car s’il avait su il aurait appris.

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Toul garnison – Automobile militaire faisant le service des Forts – éditeur à Toul

En octobre 1909, il passe Caporal.

06 septembre 1909 : « Mes chers parents, Me voici en route pour les manœuvres, il faisait chaud à marcher mais les nuits vont être fraîches, il y avait de la gelée blanche. Quel pays où nous cantonnons, vous en voyez un échantillon, demain nous allons à Charmes, j’espère être mieux. Le plus ennuyeux c’est le cabot dont je suis affligé, heureusement qu’il s’en va dans 20 jours. Le chargement est à peu près le même que pour Mailly, il fait mal aux épaules. Je n’ai pas d’outils, mais nous avons chacun 12 biscuits. Je suis signaleur, encore un filon de plus, je ne sais si j’aurai la pose. Je verrai. Bonjour à tous, Je vous embrasse bien fort, Georges ».

Le barda peut peser 35 kgs. Le sac contient vêtements et chaussures de rechange, couverture, toile de tente avec ses piquets. En bandoulière, les musettes renferment des vivres de réserve pour deux jours dont les fameuses galettes très dures surnommées « biscuits », un bidon de 2 litres d’eau, fusil, cartouches, grenades, objets personnels.

Tout ceci rappelle sans doute des souvenirs à ceux qui ont eu le « bonheur » de faire leur service militaire. C’est plutôt ses réactions qui sont intéressantes. Il cherche « le filon », il se veut finaud, toujours à la recherche d’un avancement ou d’une planque pour échapper aux corvées, sans résultat.

Il obtient le grade de caporal le 26 septembre 1909 et se fait prendre en photo, tout fier dans son nouvel uniforme. Son chef disait : « Le courage, c’est un moment d’inattention. » : Eh oui, un pas en avant sans faire attention, cela peut vous faire désigner…

La photographie est prise sur un prie-Dieu, ce qui permet de se tenir droit et de lui donner un caractère solennel.

Il porte sur son col le numéro de son régiment. Il a 2 galons, donc il est caporal. Sur sa manche gauche figure un cor de chasse, qui indique un prix obtenu lors des écoles de tir règlementaires. Il était d’usage de passer les galons et le cor à la craie [1].

Le 30 janvier 1910, alors que Choisy-le-Roi est inondé, Georges écrit de Charmes-la-Cote : « Il gèle et la neige n’est même pas encore fondue sur les hauteurs, où je suis de garde il y en a près de 2 000 centimètres ».

Le 06 septembre 1910, il est encore au 146e régiment d’infanterie 77e brigade 19e division aux manœuvres du 20e corps d’armée à Nancy, Meurthe et Moselle.

Il est envoyé en disponibilité le 25 septembre 1910, et un certificat de bonne conduite lui est accordé. Il a également obtenu le permis pour véhicule automobile. Il rentre à Thiais.

Il est passé dans la réserve le 01 octobre 1910. En tant que caporal réserviste, il a accompli une 1re période d’exercices dans le 146e régiment d’infanterie à la 5e compagnie du 2 octobre au 14 novembre 1911 (carte du 20 janvier 1911 de l’hôtel de ville 29 octobre 1911 de Charmes, Meurthe et Moselle). Il va en manœuvre au camp de Mailly, dans l’Aube.

Il reviendra en Lorraine pour 4 ans de front. 2 fois blessé, 7 citations, il finira la guerre de 1914, comme adjudant. Croix de guerre avec étoile de bronze, médaille militaire, Chevalier de la Légion d’honneur par décret du 15 octobre 1958. Pourquoi si tard ? Il refusa longtemps de demander la Légion d’Honneur. « Si je l’ai mérité, ils n’ont qu’à me l’a donner. » disait-il, refusant d’être obligé de la demander et de la payer. Ses camarades finirent par venir à bout de ses réticences.

Il fût surtout traumatisé par la mort de ses compagnons d’armes. La seconde guerre mondiale l’acheva. Ce chef énergique fût un grand père très gentil mais qui ne savait plus rire. Tous les ans, il retournait à Verdun avec ses amis. Le souvenir des tirs de canons était tellement vivant qu’ils se bouchaient tous les oreilles car ils avaient l’impression d’entendre encore le canon.

Sans doute a-t-il fini par aimer la campagne car il y vécut plus d’une dizaine d’années, cultivant ses légumes, avec des poules, canards et lapins pendant un temps. Il s’est éteint 3 mois après le moment où il a du renoncer au jardinage.

By René Arbour

Management certificate of Credit Card (New York - 1983-84) Bac Administration , Security for the people (Minesota 1984)