Tout finit par des chansons

 

Tout finit par des chansons

dimanche 1er janvier 2006, par Michel Guironnet

 BEAUMARCHAIS termine « le Mariage de FIGARO » par ce couplet :

« Or, Messieurs la comédie

Que l’on juge en cet instant,

Sauf erreur, nous peint la vie

Du bon peuple qui l’entend.

Qu’on l’opprime, il peste, il crie,

Il s’agite en cent façons,

Tout finit par des chansons… »

Le XVIIIè siècle est gai, les chansons dépeignent le bonheur du peuple de France qui jouit de la liberté, vit dans un pays opulent et riche.

Ses chansons sont « l’exact reflet d’une sensibilité… La Régence a célébré la boisson et les amours légères. Les couplets du milieu du siècle se sont voulus à la fois spirituels et sensuels. Au temps de Louis XVI, la chanson est toujours sentimentale » [1].

Entre 1750 et 1800, le monde change. Ce bouleversement se traduit également dans les habitudes quotidiennes des français et l’esprit du siècle.

Les papiers personnels de Marie Thérèse HEIMBROCK contiennent des textes de chansons.

Peu sont datés, et aucun n’est de la main de Marie Thérèse. Comment sont ils parvenus dans ce dossier ? Mystère… mais le fait est que, grâce à eux, nous pouvons sentir « vibrer » la France de l’Ancien Régime et celle de la Révolution. Laissons-leur la parole !

Nous les accompagnerons seulement, si nécessaire, de quelques commentaires.

L’ordre de présentation choisi est chronologique suivant les indications données par le texte.

Voyage en ballon

« Couplets à l’occasion du voyage de M. BLANCHARD qui se propose de partir de La Haye dans son ballon, et d’aller à Paris sans s’arrêter, deux ou trois autres français doivent faire avec luy le voyage ».« Sur l’air : avec les jeux dans le village »

« Une superbe découverte,

Nous ouvre le chemin des airs,

Profités de la routte ouverte

Blanchard parcourés l’univers

Oui, le fluide inflammable

Peut bien porter votre ballon,

Dans un séjour plus agréable,

Que celuy de votre maison.

Bis »

 » D’Hébé, de flore, et des trois grâces

Allés rechercher les appas,

Que leur coeurs volent sur vos traces,

Que Vénus ne résiste pas.

Quoique se soit un juste hommage,

Que notre admiration pour vous,

Jouissés du doux avantage,

Que vous pouvés avoir sur nous »

« Vous, français admis dans ses fêtes,

Qu’elles soient celles des amours,

L’amour couronnera vos têtes,

Vénus procure de beaux jours.

Au lieu d’une simple couronne,

Soit de diamants, ou de fleurs,

Jeunes aériens, l’on vous donne

Toute une guirlande de cœurs.

Bis. »

Jean Pierre BLANCHARD, aéronaute français (Les Andelys 1753 Paris 1809) après avoir construit une machine volante, expérimente le parachute avec des animaux.

Le premier il traverse la Manche en ballon de Douvres à Calais le 7 janvier 1785.

Il est accompagné du Dr. GEFFERIES. La date du vol LA HAYE-PARIS nous est inconnue. Il semble bien que ce vol n’est resté qu’à l’état de projet vers 1788. BLANCHARD construit un aérostat qu’il manoeuvre grâce à des rames fixées à la nacelle.

Frappé d’apoplexie dans son ballon près de la Haye en 1808, il fait une chute mortelle l’année suivante. Sa femme, Sophie ARMANT (née près de la Rochelle en 1778) prend part à ses voyages, et meurt à Paris en 1819 dans l’explosion d’un ballon d’où elle tirait un feu d’artifice [2].

Rappelons que les premiers ballons sont l’oeuvre des frères Etienne et Joseph MONTGOLFIER papetiers à Annonay. Ils font leur première grande expérience à Annonay le 4 juin 1783, devant les députés de la province du Vivarais : leur « Montgolfière » s’élève alors à 500m d’altitude.

« L’académie des Sciences à Paris fit répéter l’expérience au Champ de Mars, le 27 août 1783. Le Pr. CHARLES fit gonfler le ballon à l’hydrogène… Devant 300 000 personnes qui pleuraient et s’embrassaient dans un délire d’enthousiasme, car un des plus vieux rêves de l’humanité se réalisait, le ballon atteignit 1000m de hauteur… Après une expérience que le Roi honora de sa présence, le 19 septembre 1783, Pilatre de ROZIER et le Marquis d’ARLANDES furent les premiers hommes à s’envoler, ils planèrent sur Paris le 21 novembre 1783… » [3].

A Lyon, aux Brotteaux le 19 janvier 1784, a lieu une ascension en ballon, le comte Jean Espérance Blandine de LAURENCIN est l’un des premiers passagers. Le ballon est baptisé « Le Flesselles ». Une nouvelle ascension aura lieu le 4 juin, en présence du Roi de Suède. Cette fois, le ballon s’appelle « Le Gustave ».

Partout l’enthousiasme est à son comble : « les femmes portent des chapeaux en ballon, les enfants mangent des dragées au ballon, les poètes composent d’innombrables odes aux vols en ballon… A leur retour, les « aéronautes sont promenés en triomphe. Les garçons se battent pour tenir la bride de leur cheval, les ouvriers baisent leurs vêtements ; leurs portraits accompagnés de vers élogieux sont imprimés et vendus dans les rues. » [4]

Chanson (air de Figaro)

1. II est un dieu tutélaire

Un docteur couru fêté

Dont le geste salutaire

Est un signe de santé

Aux femmes il a su plaire

Et par un accord flatteur

Toutes veulent le docteur, Bis

2. Pour elles discret, habile,

Il réussit chaque jour

Le docteur est à la ville

Le docteur est à la cour

D’une cure difficile

Pour abréger la lenteur

Il ne faut que le docteur,

Bis

3. Le docteur qui reigne en France

Est moins savant qu’on ne croit,

Il n’a pas grande science

Pourtant il est maître en droit

Et c’est pour cela je pense

Que bien des femes d’honneur

Ont du goût pour le docteur,

Bis

4. Le docteur flatte intéresse

Les femmes dans tous les temps

Il gouverne avec adresse

Et leur esprit et leur sens

On fait naître la tendresse

Dans un faible et jeune coeur

En lui montrant le docteur,

Bis

5. Docteur chéri d’une belle

Par lui près d’elle on peut tous,

Nés amis d’une cruelle

Voulez-vous venir à bout

Laissez dire la rebelle

En bravant sa sombre humeur

Faites lui voir le docteur »

Peut-être s’agit-il du « Docteur MESMER » si célèbre et adulé en France et à Lyon en 1784… « l’air de FIGARO » est lui de 1785. Ce texte de chanson est écrit sur un petit feuillet (18x11cm) comme d’ailleurs les deux textes qui suivent. Ils semblent tirés d’un carnet (ou bien rédigés sur les pages détachées de ce carnet). Ils ne sont pas tous de la même écriture… Certaines ressemblent à celle de CORSIVAL (secrétaire de l’intendant de Lyon TERRAY) ou à celle de FASSIER, ami de Marie Thérèse HEIMBROCK.

C’est peut-être là une piste : dans un des courriers de Marie Thérèse à CORSIVAL, elle lui adresse « huit vers ». Celui-ci, dans sa réponse du 9 octobre 1788, la remercie car dit-il, « c’est une jolie manière de faire le cadeau de son portrait, et vous vous êtes servie d’un bon peintre car la ressemblance est parfaite… »

Ces vers, ces poèmes, ces chansons sont-ils l’oeuvre de la veuve HEIMBROCK ?

« Chanson, air connu »

Dans le coeur d’une cruelle

Le désir brûle en secret

Jamais sa fierté rebelle

Ne pardonne un indiscret

Mais elle excuse

Les larcins qu’amour lui fait

Elle excuse

Les larcins qu’amour lui fait

Par une ruse

Si l ’himen vous engage,

Les fleurs naissent sous ses pas,

Mais au fond de ses bocages,

Elle y cache ses appas.

Ah ! Quel dommage

Si vous n’en dérobiez pas

Quel domage

Si vous n’en dérobiez pas

Pour votre usage.

Fin

Ce texte existe, à quelques nuances près, sur un autre feuillet. Le titre est noté simplement « Chanson », il est dit « si Chimen vous engage » au lieu de « si l’himen » (mais il peut s’agir d’une copie fautive ou d’une mauvaise lecture).

Les vers sont découpés différemment pour la partie finale de chaque couplet :

Ex :
« Mais elle excuse (les larcins rayés) les larcins qu’amour lui fait
elle excuse les les (sic) larcins qu’amour lui fait par une ruse« Indice important : le mot »Fin« est suivi de »1792 à Lyon ». Cela ne veut pas dire pour autant que la chanson date de la Révolution.

Les deux documents ont quelques ratures, comme si une main inconnue les recopiait pour ses ami(e)s, ou pour en garder le texte récité au cours d’une soirée de poésie. Le copiste aurait simplement alors indiqué la date et le lieu de ce jour là ?

Poème royaliste ?

Sous ces bosquets chéris des dieux,

Où les lauriers croissaient d’eux mêmes,

En vain, je cherchais ces emblèmes,

Ces mirtes, ces chiffres heureux.

Ce n’est qu’en terre étrangère,

Pour l’amour et pour la valeur,

Le laurier croit avec l’honneur

Et Coblence en devient la sève (bis) »

Mais en dépit de la saison,

Soudain un lys frape ma vue,

La tige en étoit abattue,

Les feuilles couvroient le gason.

Ce lys refleurira peut-être.

Malgré le courroux des autons,

Les premiers beaux jours du printemps

Lui donneront un nouvel être (bis) »

A l’abri d’un saule pleureur,

Je vois une jeune bergère

Les ieux baissés son air sincère

Me font lui conter mon malheur

Prenez dit-elle confiance

Vous verrez refleurir ce Lys

Oui c’est moi qui vous le prédis

Et je m’appelle l’espérance (bis) »

O toi l’exemple des malheurs,

Toi qui faitte au talent de plaire

Comme Reine ou come bergère

Possède l’empire du coeur

De tes maux vois finir la cause

Le destin va sécher tes pleurs

Console toi de tes douleurs

L’épine croit avant la rose.

Fin

Manifestement, en évoquant Coblence, refuge des émigrés aristocrates, le Lys, symbole de la monarchie absolue (« dont la tige en étoit abattue »), la disparition des « emblèmes », « des chiffres heureux » (détruits par la Révolution), cette poésie respire la nostalgie de la royauté perdue mais aussi l’espoir d’un retour, la fin des pleurs, des couleurs pour ce royaliste fervent.

Ce texte est donc d’après 1789, voire plutôt après 1791 et l’arrestation de Louis XVI. Le style « champêtre » (bosquets, lauriers, saule et bergère…) est dans l’air de la grande époque du Trianon.

« Chanson sur l’air : Rends moi ton cœur »

1er couplet

Je l’ai passé cet âge heureux de plaire

Ces doux instants dont j’ai si peu joui

Comme un beau songe, ô ma tendre glicère

Plaisirs, amours, tout s’est évanoui.

Je l’ai passé. Bis »

2e couplet

Je l’ai passé cet âge heureux de plaire

Je touche hélas à l’hyver des mes ans

Quand les frimats vont désoler la terre

On cherche en vain les roses de printemps. Bis »

3e couplet

Je l’ai passé cet âge heureux de plaire

Et loin de moi, de mon triste séjour

Je vois des ris fuir la troupe légère

Un cheveu blanc effarouche l’amour… Bis »

4e couplet

J e l’ai passé cet âge heureux de plaire

Je n’en ai plus qu’un triste souvenir

Moments trop courts, erreur fatale et chère

Devais-tu naître ou devais-tu finir.

Je l’ai passé, etc, etc. »

5e couplet

Je l’ai passé cet âge heureux de plaire

Que n’ai-je aussi passé celui d’aimer

Que sert hélas un coeur, ô ma glicère

A qui n’a plus l’espoir de te charmer

Je l’ai passé, etc, etc. »

6e couplet

Toi pour qui naît cet âge heureux de plaire

Cueille au matin les roses du plaisir,

Ah ! Le bonheur, o ma tendre glicère

N’est qu’une fleur que le soir va flétrir

Je l’ai passé cet âge heureux de plaire

Cet âge heureux de plaire »

Fin

Nostalgie quand tu nous tiens…

Ces vers n’évoquent-ils pas les dernières années de Marie Thérèse HEIMBROCK ?

Seule, fatiguée, déçue par la vie et ses déboires, elle confie ses peines à « Glicère » jeune fille au seuil de la vie adulte.

Glycère, dans la Mythologie grecque, était une courtisane athénienne célèbre qui épousa Pausias.

Peut-on penser qu’elle use de cet artifice pour conseiller sa protégée Clarice BOISSAT qui va (ou vient de) se marier (1802-1803) ?

Veuve, après trois ans de mariage seulement, Marie-Thérèse a en effet « si peu joui de ces doux instants. Plaisirs, amours, tout s’est évanoui ». A « l’hiver de ses ans », ses cheveux blancs « effarouchent l’amour ». Que Clarice « alias Glicère » profite bien de son bonheur, « fleur que le soir va flétrir » !

L’écriture (texte sur une page grand format et non sur un petit format) ressemble étrangement en effet à celle de Clarice BOISSAT… [5]. Dans les nombreux documents non datés du dossier HEIMBROCK existe cette bande de papier, de la même écriture :

« De la mère de mon premier

Vous avez tout l’éclat, aimable glycère,

Depuis prés de vingt ans, vous êtes ma dernière,

Et mon tout, sans vous voir, me semble un siècle entier ».

On devine quelques mots sous une grande accolade ; certainement la réponse à cette charade. Malheureusement la page est déchirée !

 

 

By René Arbour

Management certificate of Credit Card (New York - 1983-84) Bac Administration , Security for the people (Minesota 1984)