Lignée d’Aimé Thériault

 

Lignée d’Aimé Thériault

Famille-Arbour présente l’histoire de Aimé Thériault et ses influences à Saint-Alphone-de-Rodriguez

Lignée d’Aimé Thériault

Alexandre, Olivier et Emmanuel Thériault de Notre-Dame-des-Prairies

Jocelyn Thériault épouse le 22 mai 1982 à St-Zénon Bernise Lefebvre (Raymond et Clarina St-Georges)

Fernand Thériault épouse le 28 juin 1952 à St-Alphonse de Rodriguez Jeanne d’Arc perreault (Eugène et Laurette Bordeleau)

Hormidas Thériault épouse le 30 octobre 1906 à Ste-Béatrix Béatrix Loyer (Joseph et M.Marguerite Ratel)

Exide Thériault épouse le 18 octobre 1875 à St-Alexis M.Adeline (Délima) Ricard (Louis et Delphine Alain) Aimé Thériault épouse le 15 juillet 1844 à St-Ambroise Aglaée Jeansonqe (Charles et Zoé provost)

Charles Thériault épouse le 8 janv.1810 à St-Jacques (veuf Ursule Ratel) Ursule Marion (Antoine et Isabelle Dupuis)

Jean Thériault épouse à Cherbourg, France M.Madeleine Charlotte LeBaron Charles Terriot épouse le 3 octobre 1718 à Pisiquit, Acadie Angélique Doiron (Charles et M.Françoise Gaudet)

Germain Terriot épouse vers 1690 à Cobequid, Acadie Anne pellerin (François et Andrée Martin) Germain Terriot épouse vers 1668 à Port-Royal, Acadie Andrée Brun (Vincent et Renée Brot)

Jean Terriot épouse vers 1635 à Martaizé, France Perrine Bau (recherche: Roger H. Martel) (499) * * * * * * Notes traditionnelles de Jean Thériault, né en 1737 (texte: Frère Prosper Thériault c.s.v. (1833-1913) frère d’Aimé Thériault) (sources: Archive de la famille Thériault) (de Roger H. Martel) (499) Né en Acadie près de Louisbourg,

Jean Terriau avait deux frères et cinq soeurs. A l’époque de la dispersion des Acadiens par les Anglais, Jean avait 15 ans et son frère Honoré en avait 17. Ils furent séparés du reste de la famille. Jamais ils n’entendirent parler depuis de leurs soeurs, ni de leurs frères, ni de leurs père et mère.

Le vaisseau qui les déportait avec un grand nombre d’autres compatriotes se dirigeait vers Boston, c’était apparemment le lieu de leur exil, mais les Bostonnais refusèrent énergiquement de laisser débarquer chez eux cette cargaison vivante, on ne sait au juste la raison de ce refus; ce fut probablement à cause de la terreur qu’inspirait les Acadiens dont le nom était synonyme de bravoure, dont la foi était catholique et dont l’attachement passionné à la France n’offrait aucune sécurité aux colons Anglais de cette partie de la Nouvelle Angleterre.

Pour une raison ou pour une autre, la déportation de groupe d’infortunés Acadiens fut définitivement fai.te sur les côtes de la France. Jean Terriau et son frère Honoré traversèrent la France et entrèrent au service d’un Baron Leblanc, qui vivait près de Lyon. Ils vécurent au service de ce Seigneur pendant 17 ans. Jean (notre grand-père) ayant épousé clandestinement la fille du Baron Leblanc, perdit l’affection de son maître qui le bannit de ses terres avec son épouse et l’enfant que le ciel venait de leur donner.

C’est alors qu’il vint s’établir au Canada, accompagné de son frère Honoré, également marié et également père d’un enfant. C’est au Havre que les deux frères s’embarquèrent pour le Canada. Un incident de voyage trouve sa place ici. Sur le point d’entrer dans l’embarcation qui devait les conduire à bord du vaisseau, ma grand-mère ressentit une telle douleur de quitter la France et sa famille, qu’elle refusa de poursuivre. Prière, instance, rien ne put fléchir sa résistance.

Mon grand-père espérant sans doute déterminer une généreuse résolution, s’empara de son enfant et s’embarqua, abandonnant son épouse sur la rive. Ce fait eu plus d’effet que l’on désirait. Se voyant seule, délaissée, elle devint folle de douleur. La jeune mère se précipite dans les flots, était-ce dans l’espérance d’être recueillie par celui qui l’abandonnait ou sous l’inconcevable intention de s’y noyer? La foi ardente de cette femme ne permet pas de s’arrêter qu’à la première de ces pensées.

Jean Terriau recueillit sa malheureuse épouse, s’embarqua et, quelques semaines plus tard, Jean et Honoré Terriau étaient fixés avec leur enfant désormais heureux à StJacques de l’Achigan. Ils arrivèrent au Canada vers 1774. * * * * * * Aimé Thériault (1814-1895) Notice biographique écrites en 1940 et dédiée à mes enfants comme souvenir de famille N.S: Il est possible qu’il y ait des erreurs dans les dates que j’ai recueilli de la bouche d’autres personnes, qui eux me les donnaient de mémoire, mais d’une manière générale, j’ai lieu de croire qu’elles sont assez exactes.

J’ai encore bien gravé en mémoire les différentes péripéties de sa vie dans tous leurs détails. Comne je l’ai dit déjà, le souper se prenait régulièrement à 7 heures. Aussitôt pris le repas, mon père s’appuyait les bras sur la table et nous racontait quelques phases de sa vie, nous étions tous pendus à ses lèvres car il avait une manière intéréssante de raconter. Ce n’était pas par ventardise ni par orgueil qu’il nous racontait ces faits, son seul but était notre édification. Il voulait nous encourager à supporter les épreuves que nous devions inévitablement rencontrer dans la vie.

A ce moment-là j’avais presque promis d’écrire ces récits. Je prenais donc des notes sous sa dictée et pour les compléter j’ai ceuilli tous les renseignements qe j’ai pu, mais un peu par manque de temps et aussi par négligence, j’ai toujours retardé de mettre ce projet à exécutien. Maintenant j’ai à souffrir de ce retard, car 50 ans se sont écoulés depuis et je m’aperçois que j’ai perdu beaucoup de ces notes. Faute de ne pouvoir donner des précisions, je suis forcé de mettre de côté plusieurs faits intéressants.

Dans ce récit je n’ai rien tiré de mon imagination, ce n’est pas un roman que j’ai voulu écrire ni une page littéraire, je n’ai que rapporteé des faits aussi fidèlement qu’il m’a été possible. Pâques 1940 – Jean-Paul Thériault.(1873-1942). (Sources Roger H. Martel) (499) (Texte: propriété de Laurette Thériault de Joliette) De St-Jacques à St-Alphonse Aimé Thériault (baptisé sous le nom d’Amable, mais toujours connu sous le nom d’Aimé) est né à St-jacques de l’Achigan, le 1er mai 1814, de Charles Thériault et d’Ursule Marion. Il était le septième d’une famille de vingt enfants.

Dès son enfance, Aimé a connu les grandes misères et les privations sans nombres qu’apporte la pauvreté, laquelle règnait en maître dans un grand nombre de famille du temps. Elle sévissait plus spécialement chez ces pauvres Acadiens qui venaient d’arriver au pays après avoir été dépouillés de tous leurs biens et déportés comme de vulgaires animaux.

Son père exerçait le métier ingrat de sabotier. Il n’avait alors pour subsister et pourvoir à ses besoins qu’un maigre revenu. Pendant les deux saisons de l’été et de l’hiver, il faisait des sabots de bois avec un outillage très primitif. Au printemps et à l’automne, grâce à la générosité d’amis et de voisins qui lui prêtaient gratuitement un cheval, il colportait ses sabots de porte en porte par les «grandes paroisses» d’alors; L’Assomption, L’Épiphanie, le long du fleuve jusqu’à Berthier. Il en obtenait l’énorme prix de trois cents la paire, ce qui comparé à la monnaie actuelle, équivaut à deux paires pour cinq cents.

Il fallait donc pratiquer la plus stricte économie pour pouvoir vivre avec le budget que suppose un tel métier. Non seulement le luxe dans les vêtements et la recherche dans la nourriture étaient complètement bannis, mais il fallait porter des vêtements un peu plus qu’usés et se serrer la ceinture à la table. Une petite anecdote à ce sujet m’a été raconté par mon père, il fera mieux voir à quel point la famille était privée sous le rapport de la nourriture. Les érables ne faisaient pas défaut alors, et la fôret couvrait au moins la moitié de la région. Chacun se faisait donc une petite provision de sirop d’érable.

Un printemps, la famille de mon grand-pêre avait pour toute nourriture, le matin et le soir, des patates et du sirop d’érable, il y avait heureusement du lait et de la galette d’avoine comme régal. Or, si vous trempez des patates chaudes dans le sirop d’érable, le sirop adhère peu à la patate, pourtant c’était la seule manière permise de les manger. Un des enfants, Cléophas, plus rusé que les autres, trouva un jour le moyen d’obtenir plus de sirop. En coupant ses patates avec sa fourchette il y faisait un petit creux et ainsi pouvait prendre un peu plus de sirop à la fois. Malheureusement pour lui, un de ses petits frères s’aperçut du subterfuge et le dénonca, il fut sévèrement semoncé pour une telle injustice commise envers ses frères. Les écoles aussi n’étaient pas à la porte comme de nos jours, une très grande proportion des enfants ne recevaient aucune instruction.

Cependant lorsque le père ou la mère ou quelqu’un de la famille savait lire et écrire, il se constituait professeur de la famille et des voisins. Pour Aimé, c’est la classe faite par l’aînée de ses soeurs à la maison paternelle qui lui donna l’avantage de pouvoir apprendre à lire et à écrire d’une manière convenable. Mais pour l’écriture, il possédait une si bonne main, ses lettres étaient si bien formés et si régulières, qu’en les voyant on se demandait si ce n’était pas l’écriture d’une personne pratiquant avec beaucoup de soin, pourtant tel n’était pas le cas. C’est en juillet 1825, à St-Jacques de L’Achigan, qu’il fit sa première communion et fut confirmé par Mgr Lartigue; il avait donc onze ans révollus.

Le bon et saint M.Le Curé Paré, comme il se plaisait à le nommer, lui fit le catéchisme et le prépara à ce grand événement. Son père demeurait dans le bas de la «Petite Ligne», qui fait maintenant partie de la paroisse de St-ALexis, ce qui lui donnait une distance de plus de cinq milles à parcourir pour se rendre à l’église de St-Jacques. Il lui fallait donc faire ce trajet soir et matin, cinq jours par semaine, pour assister au catéchisme. Malgré la fatigue occasionnée par ces longues marches, il nous a toujours rapporté n’avoir jamais manqué une seule de ces séances.

C’est pendant qu’il marchait au catéchisme que s’est produit un petit fait assez anodin auquel il a souvent fait allusion en racontant sa vie. Il n’avait jamais eu l’occasion d’assister à une cérémonie de baptême. Il arriva qu’un » compérage» se présenta à l’église de St-Jacques, le 2 juillet, pendant le catéchisme. Comme les baptêmes se faisaient à l’arrière de l’église déjà occupée par les enfants du catéchisme, il put assister à cette cérémonie pour la première fois, ce qui l’impressionna beaucoup.

Mais, coïncidence assez rare, il assistait au baptême de celle qui deviendra plus tard sa compagne inséparable, sa propre épouse. A partir de ce temps là, jusqu’à l’âge de 21 ans, il demeura à la maison paternelle, s’embauchand autant qu’il lui était possible, afin d’aider son père et la famille de son modeste salaire. Le travail salarié était assez rare. Les cultivateurs un peu à l’aise n’étaient pas nombreux. Il y avait bien le moulin de M. Chamberlain qui occupait quelques employés et encore avec quel salaire, mon père ne gagnait que 5 à 6 sous par jour jusqu’à l’âge de 16 ans. Pour recevoir 20 sous il fallait travailler tant que durait la clarté, ce qui pendant l’été fait une journée assez longue.

Pendant l’hiver il n’avait pas d’autre chose à faire que d’aider son père à faire des sabots de bois. Il est pourtant l’endroit de parler de cette fameuse épidémie de choléra qui sévit dans tout le pays de 1832 à 1834 et dont la paroisse de St-Jacques fut fortement atteinte. Heureusement, la famille Thériault en fut exemptée. Lorsque mon père parlait de cette épidémie, l’horreur dont il avait gardé le souvenir se peignait encore sur sa figure, cela à plus de 50 ans d’intervalle. Les personnes atteintes de cette affreuse maladie disait-il, mouraient en moins de deux jours et assez souvent en quelques heures.

Aucune loi en ces jours-là ne régissait de telles épidémies. Aussitôt qu’une personne était morte, on la déposait dans une boite plutôt grossière et on la transportait au cimetière. Les temps étaient durs à cette époque dans le Québec. L’industrie n’était presque pas existante et les terres n’étaient pas encore assez défrichées pour employer beaucoup de main-d’oeuvre. La jeunesse se voyait obligée de se chercher de l’ouvrage à l’étranger. Mon père, qui avait alors atteint ses vingt-un ans, et son frère Germain qui en avait vingt-trois, résolurent de tenter fortune ailleurs.

Les États-Unis n’étaient pas encore ouverts à l’immigration des Canadiens comme ils le furent plLus tard. D’ailleurs pour ces martyrs Acadiens, la perspective de se voir sous la domination des Anglophiles ne leur souriait pas et c’est vers les grands chantiers de la Gatineau qu’ils tournèrent les yeux. Leurs parents apprirent cette décision avec beaucoup de chagrin, car ils connaissaient la vie insalubre, rustique et presque irreligieuse de ces lurons des bois. Ils savaient à quels dangers, tant physique que moraux, ils s’exposaient en tentant d’atteindre cette région. Mais instances, supplications, rien ne pouvait les détourner de leur décision.

La mère et les soeurs aînées se mirent donc à la tâche, travaillant presque jour et nuit à préparer les vêtements nécessaires pour les premiers temps du voyage. Avant de partir, afin de se protéger contre les dangers nombreux auxquels ils auraient à faire face, ils se rendirent à L’ Église de St-Jacques y recevoir les sacrements de Pénitence et d’Eucharistie et aussi la bénédiction de ce bon Curé Paré. Ce bon pasteur se rendit de bonne grâce à leur demande et remit en plus à chacun un chapeet Leur faisant promettre de ne jamais manquer d’en réciter au moins une dizaine tous les jours. Ils y seront fidèles,

La suite du récit nous l’apprendra. Le départ se fit au mois d’août 1835 au milieu des larmes de leur mère et des recommandations de toute la famille. Après un dernier adieu, nos deux voyageurs partirent à pieds, leurs bagages sur leur dos. Le premier but était de se rendre à l’office d’une compagnie qui faisait l’embauche des bûcherons, aux environs de Montréal. La compagnie n’acceptait pas les services de tous les jeunes qui se présentaient, vu leur nombre. Aussi les agents se montraient-ils sévères et difficiles dans le choix des hommes. Ils devaient avoir un physique d’apparence résistant, une force musculaire audessus de la moyenne et surtout, une certaine hardiesse peinte sur la figure.

Nos deux héros, solides gaillards, n’eurent aucun désavantage à subir cet examen. La coupe du bois et le charroyage se faisait en hiver. Au printemps ce bois était mis en cages pour la «drave» (flottage), c’est-à-dire, qu’on l’assemblait et l’attachait de manière à former des espèces d’îlots sur lesquels un campement temporaire était construit. Un groupe d’hommes s’installait sur chaque cage et la conduisait, tantôt par la force du courant tantôt par celle du vent, ou assez souvent par la force des rames. Ce pénible et périlleux voyage d’environ trois mois s’effectuait sur la rivière Outaouais tantôt jusqu’au bout de l’île, près de Montréal, ou tantôt jusqu’à Québec, en passant par la rivière des Prairies.

Lorsque Les cages de bois étaient rendus à destination, les hommes reprenaient de nouveau le chemin des chantiers pour un nouve hivernement. Disons en passant que trop souvent, les queques jours de repos qu’on leur accordait étaient néfastes pour leurs économies. On avait tôt fait de dissiper le salaire de l’année. C’est avec un de ces groupes de «cageux» que nos deux jeunes gens firent le trajet de Montréal à » Bytown » (Ottawa) par la rivière, avec des embarcations très pesantes par elles-mêmes et fort chargées de bagages. Ils connurent alors ce que c’était que de faire le portage des bagages ou traîner les barges dans les rapides, coucher sur la rive à la belle étoile, manger froid et pas toujours des mets bien appétissants, car ce fut leur partage pendant les trois semaines du voyage.

Cependant la gaieté et la bonne humeur ne cessaient de régner. Il y avait bien quelques jurons de lancés de temps à autre à la rencontre d’obstacles plus difficiles, mais sitôt qu’ils étaient franchis, les chansons reprenaient de nouveau. Rendu à Bytown, le classement des hommes se fit pour les différents chantiers. Après une marche d’environ quarante milles à travers le bois (deux jours), ils arrivèrent à destination. Ils ont été obligés de coucher dehors une semaine encore, attendant la construction du chantier. Au chantier tout alla bien, il fallait bien travailler ferme, bûcher fort, mais les hommes y résistaient grâce à la nourriture substantielle qu’ils avaient, bon pain, fèves au lard, crêpes etc, le tout arrosé d’eau froide constituait le menu quotidien. Le thé et les desserts ne figuraient pas excepté aux fêtes de Noël et du jour de l’an, mais n’étant pas gâtés à l’avance sous ce rapport ils s’en trouvaient bien.

Pendant l’hiver, le salaire était de deux louis ($4.00) par mois. Les quelques dépenses effectuées, un peu de whisky pour Noël, achat de vêtement à la vanne de la compagnie etc. Revenus à Bytown, les hommes recevaient la «jolie» somme de $50.00 pour leur hivernement. Le salaire des cageux était de trois louis ($12.00) par mois, mais les occasions de dépenses pour eux plus nombreuses il ne leur restait que bien peu le travail fini. En avril, les hommes qui ne pouvaient s’engager pour la «drave» se rendaient à Bytown et souvent ils dépensaient tout leur hivernement, quand ce n’était pas un peu plus.

Mon père et son frère, par esprit d’économie d’abord et ensuite ne se sentant pas un besoin urgent de repos, s’engagèrent comme cageux et restèrent sur le bois jusqu’au bout de l’île. Le temps accordé comme congé n’était pas assez long pour leur permettre une visite à leurs parents à St-Jacques, ils se contentaient d’une petite lettre de nouvelles, puis sans attendre la réponse, ils se remettaient en route pour un second voyage.

Il en fut ainsi pendant les cinq années que mon père passa à voyager la haut. Pendant la quatrième année de ces voyages, en 1839, ils eurent la surprise de voir arriver deux de leurs frères plus jeunes pour se joindre au même convoi qu’eux, Moïse et Joseph. Ce fut un grand desennuie pour les plus vieux et un bon appui pour les plus jeunes de faire route ensemble jusqu’à Bytown. Malheureusement ils ne furent placés dans le même chantier pour cet hiver là. Aimé et Moïse furent désignés pour un chantier autre que celui de Germain et de Joseph, mais à courte distance, car ils purent se rencontrer tous les dimanches et ainsi se rendre service à l’occasion. Dans l’hiver 1839-40 une curieuse maladie sévit dans le chantier où se trouvait mon père, lui-même et Moise en furent atteints très fortement.

Écoutons les nous en faire le récit: les hommes de mon chantier, dit-il, ont tous eu les fièvres tremblantes. Atteints de cette curieuse maladie nous pouvions quand même travailler dans l’avant-midi, un peu aussi dans l’après-midi. Vers trois heures, un gros frisson nous prenait, et rien ne pouvait nous arrêter de trembler. Nous avions beau courir, nous mettre près d’un poêle surchauffé et nous couvrir de vêtements, rien n’y faisait, le frisson ne nous laissait que dans la soirée. Une forte transpiration faisait suite de sorte que nous devions changer de linge pour la nuit. Le matin nous nous levions bien brisés et affaiblis, mais pas assez cependant pour nous empêcher de travailler. Cette maladie, disait-il, fut funeste à sa santé.

Une nuit, quand tout sommeillait autour de moi, j’entendis un grand bruit qui me réveilla en sursaut; je vis des fantômes, de vrais démons qui se promenaient dans le chantier, me regardant avec des yeux de feu. La peur s’empara de moi et les cheveux me dressèrent sur la tête. Je regardai autour de moi et je vis que tout le monde dormait paisiblement à l’exception de mon frère Moïse. Ce dernier me demanda; qu’est qui se passe donc dans le chantier, que veut dire ce vacarme? Je ne comprends rien à tout cela lui répondis-je. As-tu fait ta prière avant de te coucher, ajouta-t-il? Non, je l’ai oubliée depuis trois soirs; alors rien de plus pressé, nous nous sommes mis à genoux et avons dit le chapelet, à peine avions-nous commencé que tout le tumulte disparut et le calme se rétablit.

Notre prière terminée, nous nous sommes recouchés tranquilles mais le sommeil fut assez lent à revenir. Nous avons eu le temps de réfléchir sur ce qui venait de nous arriver. Une pensée entre autres me tracassait; comment se faisait-il que nous ayons été les seuls à entendre et à voir tout cela? J’ai attendu au lendemain pour en parler à d’autres, mais il est certain que personne n’avait été témoin de ces choses. Le jour où il me raconta ce petit trait, je lui demandai ce qu’il en pensait maintenant. «Il n’y a pas eu de mystification de la part des hommes du chantier, me disait-il car j’aurais certainement découvert quelque chose par la suite. Il est plus vraisemblable de penser que ce fut un cauchemar, car il est bien possible que, vues les prières répétées de maman et du bon Curé Paré, le bon Dieu ait permis cela pour nous arrêter sur le chemin de la perdition sur lequel nous glissions bien vite.»

Au printemps 1840, il descendit sur les cages de bois jusqu’au bout de l’île comme les années précédentes. De là se rendit à l’office de la compagnie pour y retirer son salaire et toutes ses économies qu’ il avait faites dans ses cinq années de voyage. Il se vit alors possesseur d’une somme de $200.00, c’était en fait une somme bien minime eu égard à la somme de travail fournie, aux misères endurées dans ce laps de temps, mais d’un autre côté, c’était beaucoup en comparaison avec les économies des autres bûcherons qui se trouvaient toujours bien minces arrivé à l’automne. Il arriva à St-Jacques vers la fin du mois d’août (1840). Il est inutile de dire quel chaleureux accueil lui fut faite.

Par ses parents et sa famille. On avait eu si peu de nouvelles de lui et des autres depuis leur départ, on était anxieux de savoir ce qui se passait là-bas, ce que ses frères faisaient,etc. On le pressa de mille questions auxquelles il répondait du mieux qu’il pouvait. Les premières effusions passées il considéra qu’une question intéressait et inquiétait en même temps toute la famille. La terre paternelle devait être vendu par autorité de justice. En effet mon grand-père s’était porté caution pour un billet promissoire, qu’un de ses frères, Francois Thériault, avait traité avec un prêteur d’argent. Ce prêteur était un usurier qui ne se gênait pas pour jouer son jeu, pour une somme de cent piastres qu’il avait prêtée à Francois il lui réclamait, avec les frais et intérêts la somme de deux cents piastres. Voici en détail le récit du marché; Francois Thériault marié et père de famille avait décidé de se faire colon et d’aller défricher une terre dans le nord afin de mieux faire vivre sa famille.

Vu son indigence et du manque d’argent nécessaire au transport des siens à l’endroit de son choix, et confiant dans son entreprise, il emprunta la somme de cent francs ($1000.00) d’un prêteur de St-Jacques. Comme ce prêteur exigeait le cautionnement d’ un propriétaire de terre, il demanda ce servi ce à son frère (mon grand-père). Il était entendu par ce billet promissoire que ce prêt n’était que pour un an avec intérêt de 14% payable d’avance. Or voici qu’à l’échéance il exigea encore un intérêt de 25% encore payable d’avance. Comme mon grand-oncle Francois se trouvait dans l’impossibilité de payer, mon grand-père se trouvait forcé de solder la jolie somme de $200.00 ou de se voir enlever sa terre.

C’est dans cette situation que mon père arrivant du chantier trouva sa famille. Une décision fut vite prise, spontanément et sans hésitation, il prit son argent, alla à St-Jacques, paya la note, se fit remettre le billet promissoire et ainsi libéra son père des griffes du lion. Mais le voila encore lui-même sans le sou, sans position, n’ayant pour tout avoir que son courage et son énergie. A l’âge de 26 ans l’avenir sourit cependant encore aux hommes de bonne volonté, avec un peu de patience, se disait-il en lui-même, je me replacerai. Une chose me causa beaucoup de joie, c’est d’avoir rendu service à mon père.

Dans ce temps-là on parlait beaucoup de la colonisation dans le nord. De fait il est à noter que la paroisse de St-Alphonse fut fondée par des gens de St-Jacques. Mon père tourna aussi ses regards vers cette partie du pays afin de s’établir d’une manière définitive. Il résolut d’aller voir son oncle François, mais dans l’intention de lui réclamer l’argent dont il lui était redevable, que de voir le pays, d’en connaître les avantages et les inconvénients pour la colonisation. Il se dirigea donc vers les townships de cathcart où se forma plus tard la paroisse de St-Alphonse.

Peu de temps après son retour des chantiers (soit a l’automne 1840), il partit de St-Jacques pour visiter son oncle. Il passa par St-Ambroise et par le Domaine (Ste-Mélanie) pour se rendre compte par lui-même de l’endroit le plus avantageux pour s’établir, faisant la comparaison entre les terres des plaines et celles des montagnes. Ayant tout examiné, voilà que la facilité à rendre les terres des montagnes propres à la culture le décida de s’établir au pays des siens. Son oncle, dans l’intention de s’acquitter de la dette qu’il avait contracté à son égard, lui offrit de lui vendre les travaux qu’il avait fait sur son lot, ce qu’il accepta de bonne grâce.

Ces travaux consistaient dans le défrichement qu’il avait fait de quatre ou cinq arpents de terre, d’un chantier qu’il avait construit, et en plus, d’une dizaine de quintaux de patates qu’il avait récolté sur son lot, le tout contre l’acquittement de la dette. Afin de permettre à son oncle de se choisir un autre lot, dans les environs et d’y construire un autre chantier pour loger sa famille, il revint à St-Jacques. Son intention en revenant à St-Jacques, était encore plus de se procurer des provisions pour passer l’hiver sur son lot et. pour y faire du défrichement que toute autre chose, il s’engagea donc un mois chez un cultivateur de St-Jacques pour faire la moisson, il recut comme salaire un quintal de fleur (112 lb).

Il s’acheta une hache et prit une partie de sa fleur, laissant l’autre partie à la maison paternelle et en y ajoutant quelques condiments et un peu de viande, don de son père, il se fit un sac pesant environ cent livres et repris le chemin des montagnes en passant par Rawdon. Un autre obstacle, connu de plusieurs mais qu’il ignorait complètement, se présentait à lui, c’est qu’en passant par Rawdon il fallait faire face aux Anglais qui voulaient à tout prix empêcher les Canadiens Français de s’établir de ce côté-là. Ils voulaient garder une certaine région comme domaine exclusif, alors ils gardaient toutes les routes et toutes les issues possibles, battant et même allant jusqu’à tuer les Canadiens qui résistaient à l’ordre de rebrousser chemin.

Ce désordre dura plusieurs années et s’aggrava au point qu’il devint nécessaire au gouvernement d’y placer des troupes de soldats pour y rétablir l’ordre; ceci n’arriva que cinq ans plus tard. Rendu à Rawdon il eut la surprise de rencontrer des sentinelles anglaises qui lui enjoignirent de rebrousser chemin. Se voyant seul contre six il se servit de subterfuge, de mensonge, pour passer, il engagea une longue discussion avec eux. Possédant assez bien la langue anglaise, il leur fit entendre que ce n’était qu’un voyage d’occasion qu’il faisait, qu’il n’avait nullement l’intention d’y retourner, ils le laissèrent donc passer.

Ces longs pourparlers furent cause d’ un retard et ne connaissant pas très bien sa route, il fut contraint de coucher dans le bois. J’imagine que ce ne devait pas être bien attrayant de coucher dans le fond des bois seul avec les bêtes sauvages. Le lendemain il se rendit à son chantier sans autre inconvénient. Son oncle qui n’avait pas eu le temps de bâtir son chantier demeura avec lui jusqu’à la fin d’octobre. Il se mit tout de suite à faire de la terre neuve, ce n’était pas une mince besogne, le bois était bien gros et planté bien dru dans cet endroit; les merisiers, les érables, les ormes, les épinettes, les pins mesurant de 30 à 40 pouces sur la souche étaient fort commun; il n’y avait pas de godendards ni de scie d’aucune sorte en usage, ce n’était que la hache, et celui qui en fait usage peut se rendre compte de l’énergie qu’il fallait déployer.

Les meilleurs bûcheurs pouvaient assez rarement faire un arpent d’abattis dans un mois de travail. Ses provisions épuisées vers. La fin d’octobre il décida de retourner à St-Jacques pour aller y chercher le reste de fleur qu’il y avait laissé et d’autres provisions si possible; cependant il ne commit pas l’imprudence d’y retourner seul cette fois, il s’entendit avec un autre colon qui comme lui allait se chercher des provisions, pour faire le voyage ensemble.

Pour s’en aller le voyage alla bien, ils ne virent personne sur la route. Il n’en fut pas de même à leur retour; à peu près à un mille au-deLà du village de Rawdon ils rencontrèrent les sentinelles anglaises; cette fois il n’y avait pas de discussion possible, les anglais étaient comme enragés lorsqu’ils reconnurent mon père, qui les avait trompés quelques temps auparavant. 1ls croyaient avoir facilement raison de deux canadiens et la bataille ne tarda pas à s’engager. Mon père et son compagnon du nom de Jos. Robichaud y perdirent une bonne partie de leurs provisions, mais ils eurent la satisfaction de rosser durement ces anglais et cela bien à leur goût. Ils se rendirent le même soir à leur chantier respectif, non sans en ressentir une fatigue extrême et sans garder quelques blessures sur le corps, mais ce n’était pour eux qu’un petit souvenir dont ils ne se plaignirent pas trop.

N’est-ce pas que c’était là des voyages assez pénibles, mais pour eux ce n’était que des incidents assez négligeables. Les conséquences les plus graves de ce voyage furent que mon père ayant perdu une partie de ses provisions se trouva de court pendant l’hiver qui suivit, il fut obligé de ne manger que des patates qu’il avait eu avec son lot et du poisson qu’il prenait dans le lac à mesure qu’il en avait besoin; cette nourriture n’est pas très soutenante pour un homme qui travaille fort, qui bûche tout l’hiver, mais il ne s’en plaignit pas trop puisqu’il avait du sel pour les assaisonner.

Son voisin, X. Rivest, n’ayant lui aussi que des patates et du poisson à manger, avait été obligé d’attendre au printemps pour s’en procurer. Dès le premier hiver que mon père passa sur son lot, il pensa à se construire une étable, espérant pouvoir se procurer un boeuf et une vache au cours de l’été suivant, ainsi qu’une grange pour abriter la récolte qu’il escomptait avoir. C’était chose plus difficile que de notre temps, il n’y avait pas de moulin à scie pour se procurer la planche nécessaire, il n’y avait pas de clous dans les magasins, ils étaient faits par les forgerons et il n’y avait pas de forgeron dans les environs, si ce n’est à St-Jacques. D’ailleurs il n’avait pas l’argent nécessaire à ces achats.

Le seul moyen de construire était donc de faire des poteaux mortaisés sur deux côtés et sur toute la longueur, qu’on mettait debout à une distance de quatre pieds l’un de l’autre, cet espace était rempli au moyen de cales faites de la manière suivante: on coupait des bûches de pin ou de cèdre de 4 pieds de longueur qu’on fendait à la hache à trois ou quatre pouces d’épaisseur; ces cales étaient amincies à chaque bout de manière à pouvoir les introduire dans les mortaises des poteaux et on les fixait aux poteaux au moyen de cheville de bois, tout comme avec des clous, ceci formait les murs. La toiture était faite avec des grands bardeaux de trois pieds de longueur posés sur des barres distancées de deux pieds et fixés aux chevrons; ce bardeau était fixé avec des chevilles de bois.

Pendant tout l’hiver, lorsque la température ne lui permettait pas de bûcher de l’abattis, il occupa ses loisirs à faire des chevilles de bois et à fendre des cales, si bien, qu’au printemps, la plus forte partie de bois nécessaire à sa construction était préparé. Au printemps il a bien fallu penser à se procurer des provisions; il retourna à St-Jacques, comme l’année précédente, pour y faire un mois salarié et s’acheter un peu de vivres. Ce fut la dernière fois qu’il prit sa subsistance hors de son lot; dans la suite il sera capable de faire produire assez à sa terre pour se subvenir. Les colons de la localité qui étaient obligés de faire un voyage à St-Jacques,ne le faisaient plus seuls, ils formaient une vraie caravane.

A un endroit et à un jour fixé, ils se réunissaient pour partir ensemble; ainsi ils pouvaient parer aux attaques des Anglais en passant à Rawdon. Celui qui avait, soit un boeuf, soit un cheval, l’attelait sur un » jumper «, un espèce de sleigh d’hiver, pour traîner les bagages, les provisions et les enfants des nouveaux colons, les grandes personnes devaient faire le trajet à pied. En voyageant de cette manière il est certain que les Anglais n’étaient pas tentés d’attaquer. Chose remarquable, c’est que d’un côté comme de l’autre il n’était pas question de se servir d’armes à feu ni d’armes tranchantes dans ces batailles, les bâtons ramassés au hasard et les poings étaient les seules armes dont on se servait. Ce fut avec une telle caravane que mon père retourna de St-Jacques à son lot.

Pour comprendre ce récit il faut dire que si les colons passaient toujours par Rawdon pour aller à leurs lots, au lieu de passer par St-Ambroise c’est parce qu’il n’y avait pas d’autres ponts que celui par Rawdon pour traverser la rivière Ouareau et que, de plus, s’il n’y avait pas de chemin de voiture de Rawdon en montant, il y avait cependant un sentier qui leur permettait de se servir d’un «jumper» où ils pouvaient faire la traction animale, voilà ce qui les forçait de passer par là. Au retour de ce voyage, il se fixa donc définitivement sur sa terre.

Pendant les trois années qui suivirent, il travailla ferme pour agrandir son défrichement, pour construire des bâtisses convenables, même plus grande que pour le besoin de l’heure, en prévision de l’augmentation de ses revenus. Il vécut seul dans son chantier, faisant sa cuisine et la réparation de ses vêtements lui-même. Les deux premières années, ses voisins étaient trop éloignés pour se désennuyer en se voisinant et en s’entraidant dans le besoin. Il y avait bien sur son lot même un vieux sauvage qu’on nommait Jean-Pierre, qui vivait seul avec sa fille Marie, mais il était le type du vrai sauvage, il n’aimait pas les relations avec les blancs, donc pas d’appui de ce côté.

Ce n’est que la troisième année après son arrivée qu’il eut enfin Le plaisir de voir arriver trois nouveaux colons dans ses voisinages. Nazaire Mercure et Joseph Henrichon venaient de prendre les deux lots aboutant au sien et se construisirent des chantiers tout près du sien, ils y demeurèrent environ douze ans. Cependant, comme il n’y a pas de joie sans peine, il arriva que ne connaissant pas les limites, Le bornage de son Lot, papa avait défriché environ trois arpents de terre sur le lot de Mercure qu’il perdit de ce fait, c’était le travail d’environ trois mois.

Mercure n’avait pas d’argent pour le payer de ces travaux, mais en retour il se montra bien généreux pour lui rendre service à l’occasion. Le troisième de ces nouveaux colons était un vieux français, qui était monté seul avec sa femme, trop âgé et pas assez d’expérience pour défricher une terre, il resta à peine un an. Un jour il vint trouver mon père et lui dit en entrant «M. Thériault», je ne suis pas venu dans le but de vous visiter, mais de vendre mon lot, je suis décidé de retourner dans mon pays. Ici, il n’y a pas moyen de vivre, les galettes d’avoine nous dévorent L’intérieur et les maringouins l’extérieur, cela ne prendra pas deux ans qu’il ne nous restera que les os.

«Mon père», qui, ne se souciait pas d’acheter un autre lot, se voyant déjà assez chargé d’ouvrage pour défricher celui qu’il possédait déjà, tâcha de le faire revenir sur sa décision, mais impossible il se vit obliger d’acheter ce lot. Son unique peine était de perdre un voisin, heureusement qu’il revendit ce lot peu après avec profit à Jean-Baptiste Rocheleau, il eut cette fois un voisin plus stable. Lorsqu’il vit que le défrichement de sa terre était assez avancé et que ses bâtisses étaient assez convenables pour y loger une famille, il pensa à se marier, à fonder son foyer.

Il y avait alors une réelle pénurie de filles à marier dans la colonie, car presque tous les colons étaient arrivés célibataires ou jeunes mariés et n’ayant que de jeunes enfants. Aussi il était difficile de s’adresser aux filles «d’en bas » car bien peu d’entre elles auraient consenti à laisser leur famille pour s’exiler au fond des bois et partager les grandes misères des colons.

Voilà pourquoi un grand nombre de ceux-ci, arrivés célibataires, ne se mariaient qu’avancés en âge et prenant des femmes beaucoup plus jeunes qu’eux. Toutefois, au printemps de 1844, une grosse famille, composée du père et de la mère, de sept filles et de deux garçons vint s’établir, c’était celle de Charly Johnson. Ce citoyen de pur sang anglais, avait été élevé parmi les canadiens Français et marié à une canadienne Zoé Provost. Il aimait et possédait toutes les moeurs et coutumes des canadiens français, si bien que son nom fut francisé, on le nommait Charlot Jeansonne, nom que ses descendants gardèrent par la suite.

L’aînée de La famille Aglaé, âgée de dix-neuf ans, était grande (5 pi. 9 po.) et d’une apparence de force et d’énergie extraordinaire, mon père cru voir en elle la femme qui lui convenait. Comme les fréquentations longues n’étaient pas à la mode, après quelques veilLées passées ensemble pour se connaître, le mariage ne tarda pas, il eut lieu vers le mois de juilLet 1844, (toutefois je ne peux préciser ici la date exacte de son mariage ayant perdu les notes que j’en avais, j’ai cependant organisé moi-même leurs noces d’or en 1894. Ses prévisions ne l’ont pas trompé. En effet, il trouva en elle la femme à la hauteur de la position, femme d’une santé qui ne lui fit jamais défaut, d’une force physique remarquable, travaillante, rempLie d’ambition, économe, pieuse, dévote sans scrupuLe, charitabLe, enfin elle avait toutes les qualités requises pour être la vraie femme du colon.

Toutefois, comme tout être humain, elle avait bien ses petits défauts qui consistaient à ne pas reconnaître que les autres pouvaient avoir moins de force, de vigueur, d’endurance qu’elle-même. Lorsqu’une personne travaillait à ses côtés se plaignait de fatigue, de courbature, elle croyait que c’était de la paresse, si elle voyait qu’une personne aimait à se régaler, à flatter son palais, c’était pour elle une gourmande, ainsi elle gagnait souvent sans toutefois être de mauvaise humeur, croyant ainsi rendre service, convaincre son entourage à prendre de bonnes habitudes, travailler plus fort, faire plus d’économies, etc…

Un fait qui me fut raconté par mon père servirait ici à illustrer la très grande vigueur et la force d’endurance de cette femme que fut ma mère. Dans le mois de juillet 1848, mon père devait faire un voyage d’urgence à St-Jacques. Afin de ne pas le retarder et sous prétexte de visiter ses parents et amis qu’elle n’avait pas vu depuis longtemps, elle s’offrit pour faire le voyage elle-même, avec deux enfants, l’un de trois ans et l’autre de 10 mois. Elle fit le trajet de 25 milles à travers le bois dans sa journée, elle portait continuellement le plus jeune dans ses bras, faisait marcher l’autre à ses cotés, et souvent, elle était obligée de les porter tous les deux.

Une telle compagne n’était pas de nature à modérer l’ardeur au travail de mon père, ni son ambition de se procurer une modeste aisance, au contraire il se remit ardemment à la tâche. Quand il s’est marié, il avait déjà près de trente arpents de terre de défrichés. Son cheptel se composait d’un cheval, d’une paire de boeufs, deux vaches à lait, de deux taures et de quatre moutons. Il récoltait suffisamment pour nourrir tout ce bétail et il était reconnu comme le colon qui avait le mieux réussi dans la région, même on le considérait comme riche.

Comme je l’ai dit déjà, ces terres étaient très dures à défricher, le bois bien gros et difficile à bûcher, mais le plus difficile c’était de le brûler. On n’attendait pas qu’il fut sec pour brûler les abattis, aussitôt que les feuilles étaient un peu séchés, on mettait le feu. Les feuilles, la mousse de tourbe, répandues sur la terre brûlaient assez pour faire un beau noir sur toute la surface de la terre, mais le tronc des arbres et spécialement celui du bois mou ne faisait que noircir et restait à leur grosseur. Il fallait alors les entasser de manière à faire des espèces de bûchers et ce n’est qu’en répétant la même opération plusieurs fois qu’on réussissait à consumer complètement ce bois.

Notons en passant un autre inconvénient assez grave, presque un martyr que ces colons avaient à endurer: les maringouins et les moustiques. Imaginez-vous un homme qui travaille dans le charbon, les mains noires, suant à grosses gouttes et qui est obligé de se défendre contre une nuée de ces bestioles, vraiment on aurait cru qu’ils étaient tous sortis du bois pour visiter leur patient, il lui fallait les écraser dans sa figure, les enlever de leurs yeux, les oreilles et la bouche, cela aurait suffit pour décourager l’ homme le plus tenace de la terre, mais ces colons-là résistaient à tout et ne se plaignaient pas.

Non moins dur était l’ensemencement de ces terres neuves, voici comment on procédait. D’abord, il faut dire qu’en ce temps là il n’y avait pas de fabrique d’instrument agricole, chacun devait fabriquer son outillage. Le colon se faisait une herse avant de commencer ses semailles. Il choisissait un arbre (érable ou merisier) ayant poussé en forme de fourche dont les deux branches étaient d’égale grosseur. Il coupait ces fourches environ 6 pieds de longueur et les équarrissait sur toutes les faces pour qu’elles aient de sept à huit pouces, ensuite, il percait des trous pour y ajouter des chevilles de bois en guise de dents de herse, et pour compléter il ajustait une espèce d’anse de panier qui servait à transporter l’instrument, alors la herse était prête à opérer.

Ce travail ainsi qu’une bonne provision de chevilles pour les dents qui se brisaient assez souvent, étaient faits au cours de l’hiver. Pour faire le hersage ainsi que pour tout autre travail dans les terres neuves, les boeufs étaient préférés aux chevaux, pour la raison que ces derniers marchaient trop vite. Avec les chevaux, la herse faisait des sauts sur les racines et ne portait pas à terre, tandis qu’avec les boeufs un homme pouvait mieux la tenir pour défricher la tourbe et faire la mie afin d’enterrer le grain. Afin de perdre le moins de terrain possible, on se servait de pioches pour enterrer le grain près des souches et entre les racines où la herse ne pouvait pas porter.

Un homme qui pouvait herser un demi minet d’avoine dans la journée disait qu’il avait fait une bonne journée. Il ne devait pas avoir eu la malchance de casser et de remplacer trop de dents de herse pour y réussir. Les imprévoyants et les négligents qui n’avaient pas pensé à faire une bonne provision de dents de herse et à les faire sécher à l’avance le regrettaient souvent pendant les semailles, car les dents bien séchées résistaient mieux aux coups qu’elles recevaient sur les racines. Je dirai en passant que j’ai fait moi-même ce travail, pourtant avec une herse moins primitive, et je peux attester que, lorsque j’avais tenu le mancheron de la herse et que je l’avais transporté près des souches et entre les racines toute la journée, j’étais content de me reposer le soir.

La culture des patates était relativement plus facile, je dirai même plus facile que de nos jours et elle donnait un meilleur rendement. C’est probablement dû au fait que la terre de cette partie des Laurentides contenait en grande quantité les éléments nutritifs nécessaire à ce tubercule. D’ailleurs, il en était de même pour tous les végétaux et tout ce qui était cultivé: le foin, l’avoine poussait en abondance. La diminution subséquente de production provient semble-t-il du fait qu’on n’a pas su rendre à cette terre l’humus qui lui était enlevé chaque année. Dans ce temps-là le seul ennemi de l’agriculture dans la région étaient les gelées tardives du printemps et hâtives de l’automne.

Les patates étaient semées à la butte, c’est à dire, la tourbe était enlevée au moyen d’une pioche, jusqu’à la bonne terre, on déposait trois ou quatre patates qu’on recouvrait avec de la terre mêlée à de la tourbe de manière à former des buttes, partout où les souches et les racines le permettaient, on faisait de ces petites buttes sans aucune symétrie, on voyait donc une série de ces petites buttes et c’était tout pour la semence. Il n’y avait pas de sarclage ni de renchaussage en été. A l’autome, on renversait ces buttes, toujours avec une pioche et les patates apparaissaient grosses et nettes et en grande quantité. Cette culture était réservée surtout à la femme et aux enfants.

La récolte des patates était si abondante qu’elle faisait plus que de suffire pour la consommation par les habitants de la colonie, Les animaux en avaient donc une bonne part. La récolte du grain était un peu plus pénible, car on n’utilisait que la faucille pour couper le grain. Une personne pouvait souvent couper un arpent par jour, mais gare aux reins faibles. Le battage et le vannage se faisaient au fléau et au van à bras. Par expérience, j’affirme que c’était un des ouvrages qu’un homme pouvait faire des plus fatigants, surtout lorsque le plancher de la batterie n’était pas uni, comme c’était souvent le cas dans ce temps-là. Donc un homme, qui battait et vanait 10 minots de grain par jour, devait se servir de la chandelle pour allonger les courtes journées d’hiver. La terre leur fournissait tout, tant sous le rapport de la nourriture que du vêtement, la peau des animaux était tannée et préparée à domicile.

Le lin et la laine étaient cultivés et préparés à la maison, enfin tout était fait de leurs mains et à force de travail. Ils travaillaient le jour et presque toute la nuit pour y parvenir, ils travaillaient en se reposant mais ne se reposaient pas pour travailler. Encore s’ils avaient eu la lumière électrique pour travailler dans la soirée, mais c’était la chandelle de suif fixée à La table de la bûche du foyer qui faisait les frais de l’éclairage. L’argent était rare chez eux, au besoin ils avaient recours au troc. Avaient-ils besoin d’acheter quelques choses l’un de l’autre, c’était un échange de marchandises, avaient-ils recours au service d’un autre, le salaire se payait en marchandise.

Toutefois les sous de temps à autre étaient nécessaires pour acheter des condiments, de la fleur de blé et différents autres articles qu’on ne pouvait pas faire produire à la terre, l’argent nécessaire pour ces dépenses provenait de certains d’entre eux qui, à cause de leur trop grande nécessité, allaient faire du travail salarié dans les «bas», ou provenait encore des nouveaux arrivés à qui ils pouvaient vendre quelques produits de la terre. Les détails que je viens de donner sont peut-être superflus, ou pour le moins monotone, mais je désirais faire connaître dans quelle situation pénible se trouvaient placés ces pauvres défricheurs, et à quelle difficulté mon père eut à faire face pour réussir dans son entreprise.

Nous pouvons donc nous rendre compte facilement qu’il lui fallait un courage sans borne et une confiance illimitée dans le succès de son entreprise, nous pouvons aussi constater qu’il ne revenait pas sur le passé mais toujours il regardait le futur, sachant bien que la seule récompense qu’il devait recevoir sur cette terre de tout son labeur, de ses fatigues et de ses privations seraient la satisfaction de se dire qu’il avait fait son devoir pour assurer un avenir heureux à ses descendants. Une autre cause d’ennui grave, c’est qu’il y avait ni église ni prêtre pour leur permettre de remplir leur devoir de religion. Les colons se contentaient d’aller à St-Jacques une fois par année et cela en été seulement, car les chemins n’étaient pas ouverts en hiver.

Il en était de même pour le médecin. Ceux qui pratiquaient la médecine dans la colonie étaient soit des sages-femmes ou quelques vieux sauvages qui traitaient les maladies bénignes avec des plantes sauvages. Lorsque les soins d’un médecin étaient absolument requis dans les cas de maladies graves on allait à St-Jacques. Heureusement, mon père ainsi que les membres de sa famille n’eurent jamais à souffrir de maladie grave aussi longtemps qu’ils furent isolés.

En 1845, à la naissance de son premier enfant, ce fut un problème pour aller le faire baptiser. Voici comment s’effectua le voyage des compères au dire de mon père. La marraine montait à cheval tenant l’enfant dans ses bras, le parrain marchait à côté tenant le cheval par la bride, et le père, une hache à la main, passait en avant afin d’enlever les branches d’arbres qui pouvaient obstruer la route. Ils se dirigeaient ainsi vers St-Ambroise à travers le bois, anxieux d’y trouver le curé présent, parce que le même prêtre desservait en même temps la paroisse de Ste-Mélanie, demeurant une semaine dans chaque paroisse. Force était donc de se rendre à Ste-Mélanie quand le curé y résidait et cela encore à pied, non pas à cause du manque de chemin mais à cause du manque d’argent nécessaire pour se payer le luxe d’un charretier.

Ce cortège, parti le matin de St-Alphonse, n’était de retour qu’à une heure avancée de la soirée et au prix de quelles fatigues. Mon père dut faire ce trajet pour les trois nuitées de sa famille, mais il fut assez chanceux, il ne se rendit qu’une fois à Ste-Mélanie. Ce n’est qu’en 1841 qu’on eut l’avantage d’avoir la messe dite dans la colonie. Le 10 février 1841, les habitants des augmentations de Kildaire et ceux du township de Cathcart firent une requête à Mgr Bourget, dans le but d’obtenir la permission de bâtir une chapelle. Francois Gagnon, curé de Ste-Geneviève de Berthier, nommé par l’Évêque pour déterminer le site de cette chapelle, choisit un terrain donné par Jos Basinais, M. Robert, alors desservant de Ste-Mélanie et St-Ambroise, venait de temps à autre confesser dans la maison d’un particulier et même y célébrer la messe basse.

En l’ hiver 1842, on érigea une construction de 40 X 30 pieds, dont le haut devait servir de chapelle et le bas de logement pour le missionnaire. La bénédiction en fut fait par M. Paré, curé de St-Jacques. La première grand-messe y fut chantée par M. Robert, pendant l’hiver 1843. Cette chapelle fut mise sous le patronage du Bienheureux Alphonse de Rodriguez, que le St-Siège venait de proclamer Bienheureux et qui fut canonisé par Léon XIII le 8 janvier 1888. Cet événement fut le départ d’un réel progrès, d’un développement rapide de la colonie. Les nouveaux colons affluèrent de tout côté, si bien qu’en peu d’années tous les lots qui formèrent la paroisse de St-Alphonse telle que constituée maintenant furent achetés.

Les Anglais de Rawdon, d’abord maîtrisés par les soldats que le gouvernement avait casernés d’une manière permanente puis conseillés par le Curé à qui ils étaient assez soumis, étant en majorité catholiques, avaient cessé leur guerre. Sans être en parfait accord, ils faisaient assez bon ménage. C’est parmi eux qu’on eut à compter le plus grand nombre de nouveau venus. En me parlant de cette époque, mon père me disait; l’ouverture de cette mission, étant en quelque sorte la création de la paroisse, me parut comme une lumière, un rayon de soleil qui entrait dans mon existence, c’était la dissipation des nuages après l’orage.

De fait, ce fut le commencement d’une ère de progrès, de prospérité pour lui, mais ce ne fut pas un temps qu’ il employa à dormir sur ses lauriers ou à se reposer, au contraire, ce lui fut une belle occasion de multiplier ses activités. La réunion à la chapelle était pour eux une occasion propice pour créer un plan d’ensemble, et un moyen de travailler au développement général de la paroisse, au plus grand bien de la communauté, enfin un moyen de se consulter, se conseiller, de s’édifier les uns les autres pour que tous arrivent au succès. Un certain dimanche, alors que les colons réunis à la porte de la chapelle après la messe discutaient sur les meilleurs moyens à prendre pour faire les chemins de voiture qui leur permettraient de voyager dans les rangs et plus spécialement de communiquer avec les autres paroisses, car le temps était venu où la plus grande majorité des colons avaient des chevaux et des voitures.

On décida d’envoyer une délégation à Berthier pour rencontrer le Conseil de Comté. Celui-ci avait apparemment juridiction pour nommer un Grand Voyer. Cet homme pouvait d’après les lois de l’époque fixer l’endroit où devait se construire les chemins publics. Bien qu’il ne fit pas partie de la délégation, mon père fut nommé à cette charge. Cette nomination était faite dans le but de prévenir toute discussion ou tout malentendu pouvant surgir entre les colons à ce sujet. Il occupa cette charge pendant plusieurs années à la satisfaction de tous.

Pendant qu’il remplissait cet office, il apprit, sans le faire connaître aux autres, que cette nomination avait été faite d’une manière irrégulière et illégale, toutefois ses administrés ne le sachant pas obéissaient à ses ordres sans critiquer. Voici quelques détails à ce sujet. Le gouvernement avait fait faire le cadastre quelques années avant que les colons commencent à prendre des lots, toutefois on n’avait pas placé d’argent des terres de la couronne pour faire prendre des billets de location et désigner des lots à ceux qui désiraient s’y établir. Il arriva donc que chacun choisissait son lot seul, et assez souvent sans en connaître la délimitation, c’est pourquoi il n’y avait pas d’octroi du gouvernement pour faire des chemins de colonisation.

De la sorte chaque colon était forcé de faire sa part de chemin dans les frontières et les montées étaient faites en commun, chacun y coopérant bénévolement par son travail. Mon père fit sa large part de travail dans ces chemins en plus du temps qu’il était obligé de perdre pour dresser le tracé de tous les chemins de la paroisse. Ce n’est que lorsque la paroisse fut canoniquement et civilement que le gouvernement s’occupât de faire régulariser les titres des propriétaires de faire payer les redevances à l’État et aussi c’est alors qu’il commenca à s’occuper de construire des chemins avec les allocations de colonisation.

Mon père, un homme très charitable, avait le coeur large pour les pauvres, il compatissait beaucoup aux misères qu’il voyait autour de lui, essayant continuellement de soulager et d’aider son prochain par toutes sortes de moyens. Les revenus que lui rapportait sa terre lui permettaient de distribuer de la nourriture aux plus dépourvus et il ne forçait jamais un créancier s’il croyait priver sa famille du nécessaire. Il engageait souvent des employés pour travailler pour lui, toujours avec l’intention de les secourir dans leurs grands besoins. Mais d’un autre côté, comme il avait le revenu de leur travail à son profit, il payait ses hommes engagés au prix courant et reconnu comme raisonnable dans le temps, et s’il jugeait ce prix insuffisant, il ajoutait de la nourriture au prix convenu.

Il nous racconta qu’un jour un M.Perrault, père de 6 enfants, se présenta à lui pour demander de lui avancer de la nourriture pour sa famille qui mourrait de faim, lui promettant en retour de le payer en travail, il fut convenu entre eux qu’il ferait un arpent d’abattis si mon père lui donnait immédiatement un quintal de fleur d’avoine et une fois le travail terminé une taure qui devait mettre bas prochainement, ce qui procurerait du lait à ses petits enfants. Après avoir buché pendant deux semaines et avoir fait environ un demi arpent d’abattis, Perrault, affaibli d’avance par la trop grande privation de nourriture, se trouva malade et complètement épuisé, il vint donc offrir à mon père de lui remettre une partie de la fleur qu’il avait eu et le pria d’annuler son engagement.

Touché de pitié papa lui dit de garder toute sa f leur et d’emmener la taure quand même, lui faisant croire qu’il l’avait bien gagné. Le voyant aller avec sa taure, il dit à ma mère; voici comme Perrault s’en va content, je n’ai pas de plus grande satisfaction que de rendre un homme heureux. Chaque fois qu’il engageait un homme pour travailler, avant même de parler du salaire ou du genre de travail qu’il avait à lui donner, il posait la condition qu’il ne devait pas sacrer ni blasphémer, ni tenir des discours malsains nulle part sur sa terre, ni faire usage de boisson enivrante. Si vous pensez de ne pas pouvoir garder ces conditions je vous conseille, leur disait-il, de ne pas venir travailler ici. Il ne se serait pas gêné de les reprendre s’ils avaient eu le malheur d’y manquer.

Aimé, mon vénéré papa, mesurait 5 pieds et 9 pouces, il était gros, de forte carrure, avait les épaules larges, l’estomac gonflé, sans obésité, et pesait environ 175 livres. Il avait une figure imposante, une physionomie sévère et sérieuse, il ne paraissait pas savoir rire. sa voix était grave, lorsqu’il parlait, on l’aurait cru toujours fâché, mais sous cette apparence rude se cachait un coeur tendre et sensible. Il était gai et aimait beaucoup à rire et à taquiner les autres, ne laissant jamais passer une occasion de jouer des petits tours, ma mère en savait quelque chose car elle était très souvent l’objet de ses mystification et de ses tours. Il était patient, se fâchant presque jamais, à l’ouvrage il n’y avait pas de difficulté, de tracas assez grand pour lui faire perdre patience, c’était alors qu’il lancait des mots d’esprit qui faisaient rire ses compagnons.

Ma mère, au contraire, disputait sans répit et elle donnait des tapes à l’un et à l’autre de ses enfants à tout propos, fort heureusement elle n’avait pas la main pesante car j’en ai eu ma part sans avoir pour cela contracter aucune infirmité, quand elle essayait de se montrer fâchée nous la craignions moins. D’ailleurs, n’est-ce pas là l’habitude de toutes2individus. les mères de famille. Aussi souvent dans la journée, elle interpellait mon père lui disant: «mais Aimé donne donc une bonne fessée à celui-la, il ne veut pas écouter». Alors papa nous disait; «Écoute ta mère, sois bon garçon, sois obéissant» ou toute autre parole semblable. Si l’offense devenait plus grave, il nous regardait avec son oeil sévère et nous disait «ne fais pas cela» ou bien » je ne veux pas que tu fasses cela» c’était compris, il n’avait pas besoin de s’expliquer plus longuement car un récidiviste qui avait la visite de sa main s’en rappelait longtemps.

Pour ma part, je me rappelle de n’avoir reçu qu’une tape dans le fessier et j’avoue que je n’ai jamais voulu recevoir une deuxième visite semblable. Il était pieux et dévot sans bigoterie, il était très fidèle à la récitation de la prière du matin et du soir, et du chapelet en famille, ponctuel pour l’assistance aux offices à l’Église, et ne tolérait pas de négligence de la part de ses enfants ou de ses employés sous ce rapport. Jamais il n’oubliait de réciter l’angélus quand il entendait sonner la cloche d’une église. Enfin s’il aimait beaucoup à prier ce n’était pas hypocrisie mais seulement pour acquérir les mérites devant Dieu à qui il renvoyait toute la gloire de ses actions, il ne cherchait donc pas à se faire une réputation de saint devant ses concitoyens.

Un jour, vers 1890, dans une réunion d’environ une vingtaine de personnes, j’entendis deux vieillards qui avaient bien connu mon père et qui même avaient partagé une bonne partie de sa vie de colon, en faire le portrait suivant; Aimé Theriault était un homme impossible à comprendre, son extérieur ne reflète pas son intérieur, s’il riait ce n’était que dans son intérieur car sa figure était toujours sérieuse, s’il était fatigué, malade ou tracassé par quelques soucis, il ne le laissait pas paraître dans son air ou son apparence, il était dévot et pieux tout en paraissant bien indifférent à la religion, il paraissait toujours de mauvaise humeur et ne l’était jamais, il était économe, tenait beaucoup à son argent, toutefois il ne refusait jamais à celui qui lui demandait, enfin c’était un homme qui ne vivait que dans son intérieur et que personne ne pouvait juger par son extérieur.

C’était bien là l’opinion que moi-même je me suis toujours fait de lui. Vers 1855, il conclut le projet de se construire une maison plus spacieuse et plus confortable pour y loger sa famille qui augmentait d’un membre à tous les deux ans. Il commenca donc à couper et à faire sécher le bois qui lui serait nécessaire à cette fin. Heureusement un moulin à scie venait de se construire sur la rivière L’Assomption à environ deux milles de chez lui et un forgeron était arrivé dans la localité, ainsi il put faire scier son bois et faire forger ses clous dont il aurait besoin.

Cet été là il engagea un homme pour faire les travaux de sa ferme, n’ayant qu’à le surveiller cela lui permit de consacrer tout son temps à équarrir les pièces de bois pour faire le carré et la charpente de la maison, à couper et charroyer les billots au moulin à scie, à planer le bardeau, à faire les portes et chassis, etc. Il avait l’avantage d’être assez bon menuisier pour tout faire ces ouvrages de ses mains. Il réussit ainsi à tout préparer son bois et l’été suivant, en 1857, il était prêt à bâtir.

Si cette manière de bâtir évitait un peu de travail, il fallait par contre avoir de l’argent pour payer le sciage au moulin, le forgeron, et pour acheter différents autres articles. Il lui fallu donc trouver le moyen de s’en procurer car il ne voulait pas s’endetter. Alors après avoir travaillé bien dur tout l’été comme je l’ai relaté, il alla s’engager avec un de ses chevaux dans un chantier de bois exploité par M. S. Joliette, sous la direction de M. Ed. Scallon, à environ cinq milles de chez lui. Naturellement il ne pouvait pas laisser sa femme et ses six enfants seuls à la maison pendant tout l’hiver, il voyagea donc du chantier à la maison tous les soirs.

Le matin lorsque les hommes partaient pour le bois, il était déjà rendu pour commencer sa journée en même temps qu’eux et le soir après le souper il se remettait en route pour sa maison. Arrivé chez lui, au lieu de prendre un repos bien mérité il se remettait à l’ouvrage, il battit sa récolte au fléau, il bûcha le bois nécessaire pour le chauffage de la maison pendant l’année, il fit tous les pelletages, soigna ses animaux, enfin il fit tout le travail requis sur sa ferme. Il passa ainsi trois hivers consécutifs. «Tant va la cruche à l’eau qu’enfin elle se casse » dit le proverbe, il a pu méditer par la suite, en effet, tant de surmenage ne pouvait durer indéfiniment, il aurait fallu qu’ il fut de fer et non de chair et d’os pour résister à ce travail incessant. Il eut donc la malchance de contracter une hernie grave qui le fit souffrir le reste de sa vie.

De plus, au printemps de 1857, il fut atteint de fièvre typhoïde qui le cloua au lit pendant environ cinq semaines, ces maladies eurent raison de lui et elles terrassèrent sa forte constitution. Peu habitué de se donner des bons soins, d’être douillet pour son corps, il pensa pouvoir se remettre à l’ouvrage aussitôt sorti du lit, mal lui en prit car pas plus que trois semaines après, un jour qu’il travaillait dans une échelle en plein soleil pour construire sa maison, il fut frappé d’amnésie, c’est-dire, il ne savait plus ce qu’il faisait ni qui il était ni où il se trouvait, il était complètement égaré. Cette maladie a duré dix longs mois. Ma mère ne fut pas celle qui eut le moins à souffrir pendant cette maladie.

En plus de la souffrance morale qu’elle endura à voir son mari dans cet état lamentable, elle mit au monde un huitième enfant. Quelle surmenage pour elle. Elle devait alors prendre soin de ses enfants et de son mari, et en plus d’engager, de diriger et de surveiller les hommes pour faire les travaux de la terre, elle devait prendre soin d’un gros troupeau d’animaux, filer et tisser la laine ainsi que le lin récolté pendant l’année, fabriquer et entretenir toute la lingerie nécessaire à la famille, enfin voir à tout sans l’aide de servantes.

Ses proches, père et soeurs, faisaient tout en leur possible pour l’aider et la soulager, mais tous avaient leur besogne et devaient y voir eux aussi. Cette maladie causait à mon père une espèce de manie de la persécution, il croyait que ses voisins qui venaient pour aider sa femme, ou que les employés qui travaillaient sur la terre étaient des ennemis qui voulaient détruire ses propriétés, lui causer des dommages, s’ils donnaient de la nourriture aux animaux, il croyait qu’ils voulaient les empoisonner, il était comme dans un cauchemar et se faisait toutes sortes d’imagination croyable et incroyable. Fort heureusement, il était très docile à sa femme et à son beau-père, nul autre ne pouvait le contrôler et d’ailleurs, il n’était pas bon pour un homme ordinaire de lui faire face car il était doué d’une force musculaire que personne n’osait le braver.

Ce n’est que dans le cours du mois de mars de l’année suivante (1858) qu’il revint à lui, il s’est en quelque sorte réveillé de sa léthargie. Cette période lui apparaissait par la suite comme une nuit qu’il avait passée dans un profond sommeil rempli de cauchemar, il n’avait eu aucune notion du temps écoulé. Amaigri, faibli et sans énergie, il fut contraint de prendre trois bons mois de repos pour se remettre sur pied. Sa santé, sans être aussi bonne qu’avant ces maladies, lui revint suffisamment pour lui permettre de travailler il reprit donc sa construction.

A l’automne elle était assez avancée pour que sa famille en prit possession, il la termina l’année suivante. Il travailla encore beaucoup, mais il prit un meilleur soin de lui-même, par la suite nous l’avons vu mener une vie plus régulière, adopta en quelque sorte une vie monastique, travaillant à des heures régulières, se couchant le soir, se levant le matin et prenant ses repas toujours à la même heure, il lui fallait une raison grave pour y manquer. Le lot qu’il avait eu de son oncle François portait les Nos du cadastre 22 et 23 et une faible partie du No 24 du premier rang de Cathcart. Comme ces lots étaient coupés par le lac Pierre, il vit qu’il ne pourrait jamais tirer profit de la partie nord du lac, qui, à cause de ses bâtisses lui devenait inaccessible, il vendit à Antoine Lépine cette partie et acheta le lot No 21.

En 1855, il acheta les lots de Nazaire Mercure et de Jos. Henrichon qui étaient les lots Nos 11b et 12c du demi rang des Augmentations de Kildaire et de plus il acheta le lot qu’il avait vendu à J. S. Rocheleau (No.12b) du même demi rang. Ainsi en 1885, il possédait une terre de 300 arpents dont une bonne moitié était en culture. Il avait en plus une bonne maison, une grange et une étable de 30 X 20 pieds, une remise à voiture, une bergerie, une porcherie etc.

En un mot, il possédait toutes les bâtisses qui pouvaient lui être utiles. Il était donc un gros cultivateur, ce n’était plus le défricheur d’il y a 20 ans. Il avait lieu de se féliciter de son succès, non sans mérite, et s’il pouvait alors jouir d’une certaine aisance, il voyaitt ses labeurs récompensés. Bien que physiquement déprimé et ruiné, il pouvait se réjouir à la vue de ses 12 enfants, gros, gras, plein de santé, de sa femme encore vigoureuse, en bonne santé et relativement heureuse, il ne pouvait pas y avoir de plus grand bonheur pour lui.

Le 9 octobre 1858, la paroisse fut érigée canoniquement et civilement le 3 mai 1859, la population devait être à ce moment là d’environ 500 âmes. En 1858, les francs tenanciers dressèrent une requête demandant l’autorisation de bâtir l’église actuelle, ce qui fut accordé Le 4 février 1859. Le terrain sur lequel est construit ce temple a été donné par M. et Mme Jos Robichaud. L’église fut bénite par Mgr Bourget le 6 juillet 1861 (extrait de «Le Diocèse de Montréal» à la fin du 19e siècle). Voici quelques explications; la chapelle construite une quinzaine d’année précédemment devenait trop petite pour les besoins, il fallait donc bâtir une église.

Une grande difficulté surgit entre les paroissiens au sujet du site de cette église. si la chapelle avait été bâtie à l’endroit où elle se trouvait à ce moment-là, c’est parce que l’on avait cherché à accommoder le plus grand nombre de colons au moment de la bâtir, mais ce n’était pas le centre géographique de la paroisse. Les Anglais et les Irlandais, qui gardaient une certaine animosité quand ce n’était pas une haine jurée vis-à-vis des Français, étaient massés dans le bas de la paroisse.

Comme il avaient eu l’intention de ne pas s’éloigner de leur paroisse natale. Ils se mirent en tête de la révolte, ne voyant que leur intérêt personnel. Ils firent donc tout ce qui fut possible pour garder l’église au même endroit, un peu appuyés par quelques Français dépourvus d’esprit public, mais toutefois plus faciles à contrôler. Les Anglais tinrent tellement leur bout que 5 à 6 familles abdiquèrent et ne revinrent jamais à l’église catholique, même aucun de leurs descendants, et bon nombre d’autres quittèrent la paroisse à cause de cette difficulté.

L’autorité ecclésiastique prit l’affaire en mains. Après une enquête sérieuse, après avoir pesé les avantages et les inconvénients qui pourraient résulter plus tard, elle désigna le lot No 20 du premier rang de Cathcart comme étant l’endroit le plus avantageux et le plus central pour le moment et l’avenir. Ce lot se trouvait à près de deux milles de l’ancienne chapelle et plus au nord. C’était le lot voisin des lots de mon père. Il se trouverait donc à l’avenir assez près de l’église sans toutefois en être trop rapproché pour en subir des inconvénients pour sa culture. Il eut ainsi un marché pour écouler les produits de sa terre car les habitants du village venaient s’approvisionner chez lui. Il adopta une culture en rapport avec les exigences de la circonstance, produisant tout ce qui pouvait être en demande, et ainsi fournissait presque toute la nourriture que les journaliers et industriels du village pouvaient avoir besoin.

De nos jours les pouvoirs publics, gouvernements, conseils municipaux, commissions scolaires, fabriques, ne craignent pas de s’endetter sans sembler se rendre compte qu’il faudra que ces dettes se paient un jour. On se donne du confort autant que possible, on construit de beaux édifices, de bonnes routes, etc, enfin on fait tout ce qui peut rendre la vie agréable et aisée, toujours en contractant des dettes, et malheureusement, il en est ainsi pour un trop grand nombre d’individus dans leur vie privée.

On se pense pas assez que cette vie d’aisance est faite au dépend des générations futures. Nous nous plaisons à admirer le dévouement de nos pères, nous les remercions de s’être dépensés sans compter pour nous procurer une existence moins pénible que la leur, mais nous devrions nous demander ce que nos enfants penseront et diront de nous, comment ils aimeront l’héritage que nous leur laisserons. Bien loin d’agir comme nous, nos ancêtres faisaient tout en leur possible pour ne pas s’endetter plus que ce qu’ils pouvaient payer, s’ils se voyaient dans l’obligation de recourir à un emprunt, ils le faisaient en prenant les moyens de payer à brève échéance, en voici une preuve.

Le déplacement de l’ église entrainait des dépenses assez considérables si l’on tient compte des finances des cultivateurs qui devaient les supporter. Il y avait la construction de l’église et du presbytère qui nécessitaient de fortes dépenses. Pour les réduire à leur plus simple expression, chaque cultivateur contribua de sa part de travail manuel ou fournit du bois de construction.

Aussi il fallait bien un peu d’argent, alors on emprunta une certaine somme à courte échéance et on paya fidèlement chacune des échéances ce qui fit qu’en peu d’années la dette était disparue. Mon père fournit tout le bois de charpente et travailla plusieurs jours au presbytère. De plus, il y avait la réfection des chemins, il devenait nécessaire d’abandonner plusieurs chemins déjà en usage et d’en faire des nouveaux pour accommoder le public.

Le nouveau conseil municipal, dont mon père fit parti, verbalisa et fit faire des chemins avec quelques octrois d’argent de colonisation du gouvernement, mais les cultivateurs durent y contribuer pour la plus large part. Ce fut autant de dépense d’argent qui affectèrent un peu de mon père mais auquel il fit face sans s’endetter. Pendant la période de 1860 à 1870 il occupa les charges de conseiller municipal, de commissaire d’école, de marguillier, soit tour à tour et quelques fois simultanément.

Il s’acquitta de ces charges avec ponctuaLité et esprit de justice. Un fait, venu à ma connaissance, démontra à quel point il mettait l’intérêt public avant le sien. Pendant 17 ans, je fus secrétaire trésorier de la municipalité et comme j’avais la garde des archives, voici ce que j’y ai puisé. Une demande de passer un règlement avait été faite au conseil pour autoriser l’entretien pendant l’hiver d’un chemin public passant sur les lacs Pierre et «de vase», ce chemin avait pour but d’éviter plusieurs côtes et de raccourcir la distance pour tous les cultivateurs du lac Cloutier qui devaient se rendre au village.

Cependant mon père devait en souffrir de graves inconvénients, non seulement il se trouverait isolé du chemin public, entretenir sa sortie seule, mais même il devait être chargé de l’entretien de dix arpents de plus que dans le chemin d’été et cela loin de son domicile. Après discussion sur la matière il y eut partage d’opinion, le vote fut pris et mon père vota en faveur du changement maLgré que ce fut contre son intérêt personneL.

En 1866, l’aînée de ses filles fut demandé en mariage, et l’aîné des garçons devenu majeur lui fit part de son intention de fonder son foyer prochainement, il se maria en effet l’année suivante. Le temps était donc arrivé pour lui de commencer à établir ses enfants, de partager les biens qu’il avait si chèrement acquis. En achetant les terrains de ses voisins, il avait eu l’intention de placer ses trois garçons autour de lui. S’étant donc longuement concerté avec son épouse, il résolut ainsi le problème, il diviserait ses terres en trois parties égales à ses trois garçons et les neuf filles recevraient chacune un petit ménage et une petite somme d’argent, le dernier des garçons aurait la maison paternelle et lui paierait une rente suffisante pour qu’il puisse vivre avec son épouse.

De cette manière il croyait avoir tout prévu, mais l’homme propose et Dieu dispose, en faisant ces projets de partage, il croyait que les douze enfants dont la Providence l’avait gratifié alors, formerait pour toujours sa famille complète. Il ne prévoyait pas que la cigogne pouvait le visiter de nouveau, car sa femme avait alors 41 ans et lui-même en avait 52. Quelle ne fut pas sa surprise en 1869, quatre ans après la naissance du dernier de ses enfants, de voir arriver un autre garçon. Il se vit donc obligé de faire de nouveaux projets pour établir celui-ci quand son tour viendrait. Mais sa surprise fut bien plus grande encore quand quatre ans plus tard, soit en 1873, sa femme lui fit don d’un autre garçon.

Celui-ci dut lui paraître encombrant. Il l’était bien d’ailleurs et le fut toujours, car c’était mon humble personne qui faisait son apparition dans ce monde, (que celui qui me connaît en juge). Après mon arrivée tous les projets dont il avait rêvé tombèrent à l’eau. Il s’est voué à la grâce de Dieu et fit ce qu’il put. Il faut ajouter que l’aînée de ses filles, morte en 1871, laissait quatre enfants en bas âge. Il se vit contraint d’adopter une fille de dix jours et de l’élever en plus de tous les siens, il a donc élevé quinze enfants.

En 1872, il lui est arrivé un autre accident qui cette fois faillit lui coûter la vie. La grange de son voisin ayant pris feu pendant la saison des foins, papa sauta sur le dos d’un cheval qui paisait près de la maison et sans bride ni rien pour le conduire, il partit au galop pour aller porter secours à son voisin. En descendant une côte son cheval buta et le projeta en avant, il se frappa La tête sur une pierre et perdit connaissance.

Avant de partir il avait dit à ses hommes que, s’ils voyaient revenir le cheval tout de suite ils n’aurait pas besoin de s’occuper de lui mais si d’un autre côté le cheval ne revenait pas ils devaient venir prêter main forte eux aussi. Comme le cheval, laissé à lui-même, revint tout de suite à la maison, ils ne s’occupèrent donc pas de lui et ce n’est que cinq heures plus tard qu’une voiture venant à passer par là le trouva sans connaissance et baignant dans son sang.

Après cet accident, il fut près d’un an sans travailler et même une fois rétabli pour se remettre à l’ouvrage il garda toujours une maladie qui ne devait jamais se guérir. Toutes les semaines il avait un gros mal de tête, qui durant une journée ou deux le faisait souffrir atrocement, de plus il ne se coucha jamais dans un lit comme le commun du monde, il dormait assis sur une chaise ou sur son lit, de sorte que je ne l’ai jamais vu coucher.

C’était bien curieux de voir comme il dormait paisiblement ainsi sans s’appuyer la tête nulle part et sans jamais pencher d’un côté ou de l’autre. Ce mal de tête qui le prenait à chaque semaine s’aggrava toujours d’année en année au point qu’en 1885, une journée qu’il en était atteint, il eut une crise d’hystérie. Jamais je n’ai vu ni entendu parler d’une maladie semblable chez d’autres individus. Il eut sa première crise un dimanche. Comme il se sentait mal en train le matin, il n’était pas allé à la messe, il était resté seul à la maison. A l’heure de la grand-messe, il se rendit chez son fils qui demeurait à quelques pas de chez lui pour dire son chapelet en famille avec sa bru et ses enfants.

Comme sa bru était à faire la toilette des enfants quand il est arrivé, il s’est assis et causait tranquillement avec elle en attendant de dire le chapelet. Tout-à-coup, sans avoir donné aucun signe de nervosité préalable, il se mit à crier et à courir dans la maison comme une bête féroce, il s’imaginait voir toutes sortes de choses épouvantables. On s’imagine facilement la peur qu’eut cette jeune femme en se voyant seule avec lui et ses jeunes enfants. Elle s’enferma dans sa chambre à coucher avec ses enfants et attendit le retour de son mari.

Cette maladie dura près de onze ans, alternant toujours bien régulièrement par trois jours. Pendant les trois jours qu’il était bien, il était aussi lucide, aussi dispos que s’il n’eut jamais été malade et même il travaillait un peu, mais pendant les trois jours de ses crises, il criait, courait, frappait partout, n’arrêtait pas un seul instant du jour et de la nuit et ne mangeait pas du tout. Étant le plus jeune des garçons de la famille, au fur et à mesure que les autres se sont mariés ils laissèrent la maison paternelle, je dus donc en prendre soin dans les derniers jours de sa vie.

J’ai eu beaucoup de trouble et de misère, j’ai passé bien des nuits sans sommeil et perdu bien des journées de travail qui m’auraient pourtant été précieuses, afin de lui donner les soins que requérait son état. J’avais une grande terre à cultiver, un gros troupeau d’animaux à soigner, j’étais contraint de travailler fort toute le journée et ensuite passer la nuit sans sommeil pour l’empêcher de se causer du mal ou de sorti r de la maison et s’égarer dans les champs. J’avais bien l’aide de ma soeur et de ma mère, mais celle-ci commencait à vieillir et à perdre un peu de vigueur. Les trois dernières années, j’eus aussi l’aide de ma femme, mais d’une manière générale, les femmes ne pouvaient pas le contrôler toutes seules, j’étais toujours obligé de me tenir près de lui durant cette période de crises.

Pendant ces trois jours, il n’avait pas un seul instant de repos, ni le jour ni la nuit, une force invisible et incontrôlable le commandait sans cesse, toutefois il discernait le bien du mal, répondait censément aux questions qui lui étaient posées, lorsqu’il répondait. Il n’avait aucune malice mais pouvait inconsciemment frapper sur n’importe qui ou n’importe quoi. Sans vouloir faire aucun dommage, il brisait tout cependant. S’il se promenait dans les champs et qu’il s’imaginait que la clôture n’était pas en bonne condition et voulait la réparer alors il la défaisait complètement et l’abandonnait ainsi, ayant changé d’idée, il en était ainsi pour toutes sortes de choses.

Chose curieuse, quand il avait passé trois jours dans cet état, il revenait complètement à lui, il était alors aussi lucide que s’il n’eut jamais eu de ces crises, il se rapellait tout ce qui s’était passé, tout ce qu’il avait et dit pendant sa crise, » je m’aperçois, disait-il, que tout ce que je fais est mal, mais il y a une force intérieure qui me fait agir, bien que je sache que je ne dois pas faire une chose je ne peux m’en empêcher «. Il nous suppliait toujours de ne pas le faire interner disant qu’il s’ennuierait trop s’il réalisait qu’il était interné. Je n’ai jamais songé un seul instant de le faire interner, j’aimais mieux subir n’importe quel trouble, n’importe quel tracas que de lui imposer un nouveau supplice, j’aimais mieux passer des nuits blanches pour en prendre soin que d’en passer à me reprocher d’avoir augmenté son martyr.

Je n’ai jamais épargné de dépenses pour le faire soigner, j’ai eu recours aux plus grandes sommités médicales du temps, et jamais je me suis reproché l’argent dépensé pour cela. Une vie aussi déprimante, tant par le déploiement d’une énergie sans borne au travail que par les souffrances atroces qu’il a endurées, devait naturellement prendre fin. C’est entre une de ces crises et un moment de repos qu’il rendit son âme à Dieu pour recevoir la récompense d’une vie passée au service de Dieu.

C’est le 28 janvier 1895, à cinq heures de l’après-midi, dans la 81e année de son âge qu’il mourut paisiblement. Il avait tant souffert pendant sa vie que Dieu permit que ses derniers moments fussent sans souffrance, il est mort sans aucune résistance, sans lutte apparente avec la mort. Maintenant, je m’en voudrais de terminer ce récit sans dire quelques mots des dernières années de ma mère. Elle a survécu près de 16 ans à son mari. Bien qu’elle eut élevé ses 14 enfants et en plus sa petite fille, adoptée à l’âge de dix jours, bien qu’elle eût travaillé bien fort et partagé les peines, Les labeurs, les privations de son mari, elle a toujours gardé une santé extraordinaire. Grande, forte et grasse (elle pesait 220 lbs), elle était agile et pouvait marcher toute la journée sans fatigue, elle était habile à son travail, faisait bien ce qu’elle faisait. Elle a travaillé jusqu’à la dernière semaine avant sa mort.

Elle passait ses moments de repos à tricoter ou à filer du lin ou de la laine, jamais nous ne l’avons vu autrement qu’au travaiL. S’il y avait quelqu’un de malade dans sa famille, elle allait les soigner et à l’occasion les assistait à la mort, elle assistait aussi toutes ses filles et ses brus à la naissance d’un enfant. Tous mes enfants qui sont nés avant sa mort ont reçus d’elle leurs premiers soins. Je n’ai jamais dû engager une servante à la naissance de mes enfants, c’est elle qui soignait ma femme et prenait charge de la maison. Comme preuve de sa grande vigueur et de sa force d’endurance je pourrais citer qu’elle a toujours observé Le jeûne du carême dans toute la rigueur de ce temps là jusqu’à l’âge avancée de 80 ans et plus. Un jour, quelques temps avant sa mort, alors qu’elle avait 85 ans, elle fit le trajet à pieds de Ste-Béatrix où elle demeurait à St-Alphonse, soit environ cinq milles dans les montagnes, dans le simple but de me rendre visite.

Si elle fit le voyage ainsi, ce n’était pas qu’elle ne pouvait pas le faire en voiture, c’était simplement par plaisir. Elle voulut même retourner à pieds le lendemain, je l’en ai empêchée, je l’ai conduit en voiture. Vers la fin du mois de juillet 1910, alors qu’elle tournait son rouet comme d’ habitude, elle se sentit subitement malade et alla se coucher. Le lendemain, comme elle avait une forte fièvre, ma soeur avec qui elle demeurait fit venir le médecin, après un minutieux examen, le docteur déclara que c’était la fièvre typhoïde et que vu son âge ne résisterait pas longtemps. On fit venir le prêtre, elle reçut pieusement les derniers sacrements et mourut Le 5 août 1910, après huit jours seulement de maladie.

TEXTE INTÉGRAL DU SITE DES FAMILLES THÉRIAULT D’AMÉRIQUE SANS ALTÉRATION DE LA SOURCE René Arbour http://www.genealogie.org/famille/theriault/genfr.html * * * * * *

By René Arbour

Management certificate of Credit Card (New York - 1983-84) Bac Administration , Security for the people (Minesota 1984)