Félix Leclerc et Le p’tit bonheur |
Félix Leclerc
Le p’tit bonheur
Jamais selon nous une chanson n’a-t-elle révélé avec autant d’acuité le paradoxe de Félix en tant qu’écrivain et compositeur. Cette chanson peut se décrire comme une fantaisie noire, un petit opéra du pauvre, une fausse ballade pastorale. Beaucoup de ses chansons se déchiffrent ainsi à plusieurs niveaux. La dynamique entre la musique guillerette et le texte hautement mélancolique, et même déchirant, nous présente un Félix Leclerc en proie au doute, un artiste en questionnement profond sur les valeurs qui l’habitent. Le jeu de guitare excentrique de Félix a été comparé à celui du musicien français d’origine gitane Django Reinhart.
texte de Danielle Tremblay
Le p’tit bonheur
C’est un petit bonheur que j’avais ramassé
Il était tout en pleurs sur le bord d’un fossé
Quand il m’a vu passer il s’est mis à crier
«Monsieur, ramassez-moi, chez vous ramenez-moi
Mes frères m’ont oublié, je suis tombé, je suis malade
Si vous n’me cueillez point, je vais mourir, quelle ballade
Je me ferai petit, tendre et soumis, je vous le jure
Monsieur, je vous en prie, délivrez-moi de ma torture»
J’ai pris le p’tit bonheur, l’ai mis sous mes haillons
J’ai dit : «Faut pas qu’il meurt, viens-t’en dans ma maison»
Alors le p’tit bonheur a fait sa guérison
Sur le bord de mon coeur, y’avait une chanson
Mes jours, mes nuits, mes peines, mes deuils, mon mal, tout fut oublié
Ma vie de désoeuvré, j’avais l’dégoût d’la r’commencer
Quand il pleuvait dehors ou qu’mes amis m’faisaient des peines J’prenais mon p’tit bonheur et j’lui disais : «C’est toi ma reine»
Mon bonheur a fleuri, il a fait des bourgeons
C’était le paradis, ça s’voyait sur mon front
Or un matin joli que j’sifflais ce refrain
Mon bonheur est parti sans me donner la main
J’eus beau le supplier, le cajoler, lui faire des scènes
Lui montrer le grand trou qu’il me faisait au fond du coeur
Il s’en allait toujours la tête haute, sans joie, sans haine
Comme s’il ne pouvait plus voir le soleil dans ma demeure
J’ai bien penser mourir de chagrin et d’ennui
J’avais cessé de rire, c’était toujours la nuit
Il me restait l’oubli, il me restait l’mépris
Enfin que j’me suis dit, il me reste la vie
J’ai repris mon bâton, mes deuils, mes peines et mes guenilles
Et je bats la semelle dans des pays de malheureux
Aujourd’hui quand je vois une fontaine ou une fille
Je fais un grand détour ou bien je me ferme les yeux
…Je fais un grand détour ou bien je me ferme les yeux